Il est étonnant que le calme du lac Léman, où Valère Novarina a passé son enfance dans les années 50, ait fini par engendrer une œuvre aussi explosive que la sienne. L’Opérette imaginaire n’échappe pas à la règle. L’occasion pour ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir un auteur dont les pièces sont jouées et les tableaux exposés en ce moment un peu partout en France.
Sur ce texte théâtral, Valère Novarina écrit : « L’opérette est une forme acérée, acide et en relief du théâtre : une eau-forte. » Une forme vertigineuse, aussi. A le lire, on est pris dans un tourbillon de mots ; mots détournés, mots d’esprit bien tournés, paroles orientées vers ce que le cerveau a de sensible, la logique du cœur. Mots nés de l’accouplement enjoué d’éléments du réel. Frotter des silex syllabiques pour obtenir une étincelle de sens.
L’imaginaire est dans le titre : c’est que le réel n’est pas loin. Il s’impose dès les premières lignes avec la présence d’un mort. Un mort qui semble vouloir empêcher les mots. Mais en vain. Car les vivants auront toujours un air d’avance sur le macchabée. Toujours une chanson d’avance, fût-elle une mélopée méthodique autour des noms de l’annuaire. On chante pour que la vie dure, pourvu qu’elle retarde le retour de la mort, qui ne chante pas, elle, qui ne parle presque plus, qui n’adresse plus que des mots de la fin.
Au fil du texte, on croise la Femme pantagonique, l’Ouvrier Ouiceps, l’Homme d’outre-ça et Le Mortel devenant Autrui, tous pris d’une frénétique démence de vocabulaire. Comme si toute la réalité était dans ces sonorités qui la désignent, sorties de leur sac de nœuds pour être plongées dans un sac à malices verbales. Le babil frénétique de ces caractères féeriques, tantôt contempteurs et tantôt adorateurs du réel, nous fait, par exemple, adhérer à une définition de la plus-value aussi valable que celle du grand Karl : « Chaque jour, l’être humain vaut de plus en moins. »
A ne plus rire du réel, on se crée parfois des tristesses imaginaires. Quand on en rit, cela donne une opérette à lire, où l’imaginaire de rien peut beaucoup. Entre poésie et humour : les nostalgiques de Ionesco seront ravis.