Troisième roman de Trevor Ferguson à traverser l’Atlantique en quelques mois (après les éblouissants Train d’enfer et La Ligne de Feu), Onyx John l’impose comme l’un des plus remarquables écrivains anglo-saxons contemporains et nous incite à classer la publication en France de ses autres textes (édités en français par les éditions de la Pleine Lune au Québec) parmi les dix ou quinze priorités de ces prochaines années. Voici un romancier hors-normes, auteur d’une oeuvre foisonnante et magique où se bousculent des personnages tour à tour loufoques et fascinants, dont le caractère atypique a d’ailleurs longtemps minoré le succès. Qu’importe : pour se remettre à flots et rire au nez du destin, Ferguson s’est choisit un pseudonyme (John Farrow) et a composé un épatant roman policier (La Ville de glace, publié chez Grasset) qui, unanimement applaudi, lui a ouvert la porte de l’édition américaine et avec elle la voie d’une reconnaissance internationale.

Rien n’est tout à fait banal chez cet homme là, surtout pas l’itinéraire : né en Ontario au milieu du siècle d’un père pasteur et d’une mère institutrice, Ferguson passe ses premières années à Montréal, dans le quartier bigarré de Parc Extension où s’installeront plusieurs des héros de ses romans. Laissant derrière lui famille et collège, il part à l’aventure sans attendre sa majorité et sillonne deux ou trois continents en accumulant tout un tas de jobs de fortune (aide-cuisinier, chauffeur de taxi ou opérateur de machinerie lourde sur les chantiers de construction du chemin de fer dans le Nord-Ouest du Canada, une expérience racontée dans le spectaculaire Train d’enfer), travaillant le jour et écrivant (une partie de) la nuit. Publié en 1985, ce roman raconte les invraisemblables aventures d’Onyx John Cameron, opportuniste invétéré que l’on découvre sur la côte Atlantique, dans le Maine (juste en dessous de la frontière canadienne), squattant une gigantesque résidence bourgeoise et folâtrant sur les eaux bleues de l’océan dans un voilier de luxe avec une pute de charme nommée Oréo. Le paradis ? Pas vraiment, vu les circonstances qui ont amené notre homme à cet exil doré : jalonnée de coups foireux et de rencontres dangereuses, l’histoire de sa vie n’a rien d’un long fleuve tranquille. Jugez-en : un père pasteur et alchimiste dont les expériences ont plusieurs fois fait exploser la maison, une mère charitable qui recueille dans le salon tous les marginaux du coin, deux sœurs libertines que l’inceste n’effraie pas, une jeune paraplégique versée dans le trafic international de diamants, un multimillionnaire mélancolique et un gangster albanais (l’inénarrable Zoltan Tinodi) prêt à tout pour recueillir le secret de la pierre philosophale forment son environnement immédiat et lui compliquent franchement l’existence, jusqu’à faire de ce journal autobiographique un roman d’aventures excentrique et incroyablement palpitant.

Entre Montréal, Camden et Amsterdam, Onyx John goûte aux plaisirs de la vie (à ceux de la famille et à ceux de la chair) autant qu’à ses plus effroyables déconvenues, dans un tableau romancé des sixties et de leurs mœurs qui fait mouche. D’une invention permanente et d’un humour irrésistible, ce roman composite génialement bricolé à partir d’éléments disparates (policier, aventures, fantastique) confirme le stupéfiant talent de conteur du romancier canadien et le propulse sans conteste au rang des meilleurs écrivains nord-américains d’aujourd’hui.