Ecrire un livre : c’est sans doute l’une des meilleures excuses jamais inventées par un tiffosi pour expliquer à sa femme qu’il se rendra au stade trente-quatre dimanches par an (dont dix-sept à l’autre bout du pays), s’exposera aux dangers des confrontations avec les supporters des équipes adverses, à ceux des violences policières, passera la moitié de son temps libre sur le site Web du club et s’affichera publiquement avec une horde de fanatiques déchaînés dont la finesse n’a jamais été la vertu première. Tim Parks, traducteur et romancier (on se souvient de l’excellent Destin), a donc fait d’une équipe de foot italienne l’héroïne d’un livre qu’on aborde avec une curiosité sceptique mais qu’on avale rapidement comme une épopée mêlée d’ethnologie et de science politique, à la fois subtile et hilarante. Il faut dire que Parks n’a pas choisi la plus glorieuses des squadra italiennes : depuis son titre de champion d’Italie lors de la saison 84-85 (victoire mythique rappelée sur la page d’accueil de son site), Hellas Verona n’a guère brillé et se traîne péniblement dans les profondeurs du classement de la Serie A, avec la relégation en Serie B comme menaçante épée de Damoclès. Bienvenue, donc, dans un championnat réputé parmi les plus durs du monde : toute la saison 2000-2001 de Vérone vous est ici racontée comme un roman par un observateur aussi partial qu’enthousiaste pour lequel chaque match, chaque décision arbitrale, chaque gaffe de l’entraîneur sert à la fois d’élément d’une petite tragédie sportive et de révélateur sociologique ou politique.

On ira donc à la rencontre des Brigate Gallobliù, premier cercle des supporters en jaune et bleu de Vérone, passionnés, grossiers (« si l’on considère le conformisme politiquement correct qui règne aujourd’hui, le stade reste le seul endroit où l’on peut se lever pour hurler des insanités » ; Une Saison de Vérone peut aussi être utilisé comme un petit répertoire d’insultes en italien) et souvent racistes (beaucoup imitent le cri du gorille dès qu’un Noir touche le ballon). Voilà qui fournit à Parks le biais idéal vers de longues digressions sur la politique intérieure du pays, le nationalisme acharné du Nord et, plus effarant encore, l’important impact du foot sur les résultats électoraux (Berlusconi n’est sans doute pas directeur du Milan AC seulement par passion). On suivra au jour le jour le parcours incertain d’un club dont les supporters exècrent l’entraîneur et vice-versa, on se lancera dans des scénarios statistiques labyrinthiques afin de savoir quelle place atteindra Vérone au classement si l’Inter gagne à Bologne (« le football, c’est épatant pour les calculs de ce qui aurait pu éventuellement se passer -c’est très proche de la paranoïa »), on se scandalisera de décisions arbitrales iniques, on tournera de plus en plus fiévreusement les pages afin de savoir si, oui ou non, les jaune et bleu se maintiendront en Serie A cette année. On pourra en outre déguster au passage une ou deux phrases sur Zidane assez éloignées des portraits semi-divins qu’on en donne en France (« penché en avant, il traîne une petite valise à roulettes. Avec sa casquette vissée sur son crâne, il ressemble tout à fait à ces milliers de Nords-Africains sans emploi qui traînent dans les gares de chemin de fer du sud de l’Europe »), et apprécier l’aisance avec laquelle l’écrivain britannique fait voisiner les messages fanatiques relevés sur « le Mur » (le forum du site du club), genre « Forza Verona, comment passer un dimanche sans toi ? », avec des citations de Leopardi et Schopenhauer.

Sans jamais jouer à l’érudit qui descendrait paternellement parmi la plèbe le temps d’un match, sans non plus se prendre au sérieux (la question de son statut par rapport aux « vrais » supporters d’Hellas Verona est envisagée avec justesse et humour), Parks est autant un écrivain qui joue au tiffosi qu’un tiffosi qui joue à l’écrivain ; beaucoup plus drôle qu’un numéro d’Actes de la recherche en sciences sociales sur le foot italien, sa Saison de Vérone échappe magiquement aux écueils de la fausse somme sociologique au second degré et tient de la comédie burlesque autant que du témoignage décalé, la passion (car il n’en manque pas) en plus. Un livre mineur ? Sans doute, mais qui vaut bien des romans majeurs. Comme il l’écrit lui-même, « on n’éprouve pas de telles émotions en regardant un match à la télé ». Forza Verona !