Un titre on ne peut plus racoleur mais un auteur masqué : le phallocrate qui se cache derrière le pseudonyme de Théo Stern serait selon l’éditeur un « membre en vue de la société civile » (dans tous les sens du terme), qui aurait déjà plusieurs livres à son actif. Si ce n’est pour des raisons intimes, l’auteur a en tout cas raison de conserver l’anonymat, tant un tel navet est propre à décrédibiliser n’importe qui. La mise en situation est abrupte et grossière : Jill, une jeune étudiante américaine n’ayant jamais connu son père, vient à Paris pour y rencontrer Simon, le narrateur principal, un quinquagénaire qui fut l’un de ses amis. Elle espère qu’il lui apprendra enfin quelque chose sur son géniteur. Raté : Simon préfère lui raconter sa vie, ou plutôt le catalogue donjuanesque qui la constitue, cette vie ayant été vécue sous l’exergue « Va où ta queue te mène » (inutile de ne pas dévoiler que, comme par hasard, Jill finira aussi par se faire sauter).

Le défilé est initié par des considérations liminaires sur l’équation « sexe-amour-plaisir », Simon prétendant n’avoir jamais dissocié amour et plaisir sexuel (tout en affirmant dans l’épilogue qu’il a rarement aimé les femmes qu’il a baisées). Bref, on a droit à un abrégé de concept-guimauve hédoniste éludant toute problématique réelle sur la jouissance, l’érotisme et l’amour. S’ensuit un catalogue de conquêtes assez fastidieux, vaguement organisé par thèmes. En dépit de leur nombre, la diversité des anecdotes demeure superficielle puisque les stratégies de séduction sont d’un banal à pleurer, les descriptions féminines réduites à une poignée d’adjectifs corroborant la coloration capillaire des proies, les contextes relativement identiques (bar-restau-hôtel, et au mieux bagnole). L’exploration du champ érotique du narrateur se réduit au détail d’un rayon de supermarché, où les poules épinglées (« produits de choix », « cheptel », « proie », « merlin ») inspirent une philosophie de l’amour qui s’apparente à un programme de gestion du capital-plaisir. Et ce n’est même pas cynique, ni drôle, puisque l’auteur ne cesse de se défendre de mépriser qui que ce soit et se targue sans cesse de la royale sagesse de sa voie de la queue.

Une des choses les plus rebutantes, artificielles et pathétiques du livre, c’est l’usage des notes de bas de page qui rebondissent en fait sur tout et n’importe quoi pour en faire le prétexte d’une dégoûtante petite glose pseudo-culturelle. Détail qui complète éminemment la pose du narrateur en roué puant fait pour impressionner les connes. Sauf que pour ce qui est de la maîtrise de la langue, justement, ça bande un peu mou : on nous parle de la « lecture imposée de classiques inactuels », l’inactualité étant tout de même une caractéristique essentielle de ce qui est classique ; on nous sert des phrases comme « L’exceptionnel stimulant mais surprenant » (dirait-on dans la même veine : « le banal fatigant mais ennuyeux » ?) ; et puis, bien sûr, des pointes de lucidité subversive à s’en crucifier le cerveau : « Oui, la nature est hostile, quoi qu’en pensent les écologistes ». Non, décidément, suivre sa queue ne conduit pas forcément à de lumineux orgasmes, et si, ineptie ronflante parmi d’autres, « toutes les femmes sont précieuses et mémorables », ce qui est sûr, c’est que tous les livres ne le sont pas, à en juger par la production piteuse de cet eunuque littéraire.