Après Des Anges dans la neige et le formidable Speed Queen (deux romans parus chez L’Olivier), on suit avec beaucoup d’intérêt l’écrivain Stewart O’Nan, dont l’écriture coup de poing et les influences cinématographiques (road movies et séries B -l’auteur confesse un attrait particulier pour les films de Fuller, Corman ou Joseph Lewis) résumaient en quelque sorte un aspect de ce que l’Amérique a fait de mieux en cette fin de siècle -de plus original, en tout cas : deux romans qu’on rangeait sans hésiter aux côtés d’autres œuvres « speedées » (sic) qui marquèrent à vif le lecteur européen (dans des domaines divers, Tarantino, Joplin, Ellis et consorts). Avec Le Nom des morts, O’Nan signe une œuvre indiscutablement ambitieuse, loin de la narration K7 de son précédent roman, autour d’un thème à propos duquel il a déjà publié quelques écrits aux Etats-Unis : le Vietnam.

1982, Ithaca, état de New York : Larry Markham est livreur de pâtisseries industrielles, époux dans un couple qui part à vau l’eau, père d’un enfant lourdement handicapé. 14 ans plus tôt, il s’était engagé comme médecin dans l’armée US au Vietnam -de son unité, il sera le seul à revenir en vie. Hanté par ses souvenirs de jungle, de sang et d’amitiés déchirées, il tente de juguler ses peurs en animant bénévolement un groupe thérapeutique de vétérans dans l’hôpital du coin. Un de ceux-ci, un cinglé, s’échappe de l’hôpital et poursuit Larry, débitant ses menaces en égrenant sur son passage un jeu de cartes à jouer -famille des piques.

Difficile de résumer en quelques lignes les cinq cents pages de ce roman en trois volets, entre lesquels O’Nan construit son histoire avec rythme et virtuosité : Love Story, récit de guerre, thriller. A la vérité, l’histoire de couple et d’adultère, un peu foireuse, ne vaut que pour le terrain de chasse qu’elle offre au détraqué qui harcèle le narrateur : plombant le style et la progression par des scènes d’une banalité maîtrisée, elle fait un contrepoids inutile aux deux autres aspects du roman. C’est dans la dimension saisissante qu’il confère, par un style dément, à la folie furieuse de leurs expéditions vietnamiennes passées (le récit de guerre est raconté au présent), que se révèle le mieux le talent de l’américain : un sentiment d’urgence, de fuite en avant -vers la mort. L’écrivain s’assagit dans le contraste d’une histoire conjugale au ton fataliste et désabusé, heureusement bousculée par les menaces du vétéran fugueur. Stewart O’Nan reste décidément un écrivain de la violence, de la vitesse, de l’enfer, des vies foutues et extraordinaires ; Larry Markham, tout comme la Marjorie de Speed Queen, fait partie de ces personnages qu’on n’oublie pas -et Le Nom des morts, de ces romans qui frappent et font mal.