Avec sa photo retravaillée au filtre bleu, la couverture est alléchante. Collée contre un mur, une jeune fille, dont on ne voit que les mollets terminés par de très jolies socquettes blanches, reçoit les hommages appuyés d’un amant en pantalon de survêtement gris. En somme, une étreinte très amoureuse de dimanche matin. Le roman vient des Etats-Unis. Son titre, Gould, assez énigmatique, est complété par un sous-titre, « deux romans en un ». La quatrième de couverture développe l’accroche : le roman est double parce qu’il s’agit d’un « double aveu adressé aux femmes après une vie de péripéties amoureuses dont elles furent l’unique objet mais aussi les premières victimes ». L’éditeur -ou directeur de collection, ou stagiaire- poursuit en ajoutant : « Gould retrace sans complaisance et avec une impudique sincérité les chemins secrets qu’emprunte un homme pour parvenir à ses fins. » Diantre, tout cela est excitant : allons-nous être confrontés à une plongée aventureuse dans les méandres d’une psychologie perverse, obstinée, à une balade passionnante dans le cerveau machiavélique d’un redoutable « chasseur de femmes » ?

Ce n’est pas terminé : parce qu’il est toujours bon d’en rajouter une seconde couche, l’éditeur convoque maintenant les autorités adéquates : les journalistes. Le mieux dans le cas qui nous intéresse est encore d’établir un spectre géographique pertinent ; ici, un journaliste français et un journaliste américain. Et pas n’importe quels journaux : Le Monde, référence intellectuelle incontournable, et le Publishers Weekly, équivalent de notre Livres-Hebdo, gage de sérieux, conviendront idéalement. Pour le journaliste du Monde, Dixon « écrit comme Cassavetes », mais le « scénario », ajoute-t-il, « ressemble à du Steven Spielberg ». Impressionnant. Pour le journaliste américain, Dixon « prend place parmi les plus grands écrivains américains vivants » et « sa voix est aussi personnelle, originale, aussi américaine que celle d’un Mark Twain ». L’obligation de références prestigieuses est parfaitement remplie : trois en trois lignes. Le lecteur est comblé. L’éditeur a multiplié les cibles. S’il est un lecteur averti, la référence à Mark Twain, l’auteur de Tom Sawyer, le touchera à coup sûr. Si le client n’est qu’un lecteur occasionnel, Cassavetes, et encore plus Steven Spielberg, dont il aura au moins vu quelques films, sont des valeurs sûres. On y est. L’acheteur atteint la caisse et se déleste de 139 F, toutes taxes comprises. Il rentre chez lui, ouvre le livre et se colle une balle dans la tête…

Pas exactement : en fait, il sera juste un peu déçu de ne pas avoir pris à la place un billet de train pour sa Normandie natale, ou encore deux ou trois bons polars. Car que découvre-t-il ? Une logorrhée d’histoires fadasses et assez mal rapportées par un narrateur réduit à un « il » sans épaisseur, une suite de foutages peu inventifs et de discussions téléphoniques pas vraiment excitantes, le tout à la manière d’un dialogue répétitif sur le modèle il dit / elle dit, et scindé en deux sections respectivement intitulées « Avortements » (218 pages) et « Evangeline » (150 pages). Pour 139 F, le lecteur saura grâce à Gould comment faire pour ne pas mettre une fille enceinte : « Il protesta : « Mais tu m’as dit que je pouvais éjaculer en toi », et elle dit : « Mais pas si loin, pas si fort. Tu as un kleenex ou un mouchoir, s’il te plaît ? » On est assez loin, n’est-ce pas, de Tom Sawyer et de ses aventures dans le Mississippi. Mais de Spielberg ? La fille que Gould vient de mettre enceinte accouchera-t-elle d’un extraterrestre, ou du soldat Ryan ?