Les lettrés comme les autres, qui fréquentent assidûment les troquets de leur quartier, en souligneront dans des termes variés la dimension poétique : les bancs usés, le comptoir fatigué, la décoration, le barman, tout y est porteur de souvenirs, de nostalgie, de légendes locales, d’une singularité chaleureuse et enthousiaste qui, souvent, fait que l’habitué s’y sent mieux que dans son propre logis. L’italien Stefano Benni, né à Bologne en 1947, auteur de plusieurs livres, dont trois sont déjà traduits chez Actes Sud, nous emmène, en cette fin de siècle pressée et grande consommatrice de café technologique sous gobelet en plastique, à la redécouverte des bars, observant leurs us et coutumes, leur évolution, leurs archétypes. Vingt-trois nouvelles à l’humour joyeusement moqueur, à la poésie parfois à fleur de peau (et de pot, oui, évidemment), qui commencent par une psychopathologie -sérieusement menée- des comptoirs de bar, à laquelle succède une étude catégorielle des bars (« Le Bar Plouc » ; « Le Bar Branché » ; « Les Bars les plus étranges du monde »…) et de leur population (« Le râleur de bar » ; « Le retour des petites vieilles à la table d’angle » ; « Le néotechnicien de bar » ; « Le drogué du téléphone portable »…).

Stefano Benni, avec un humour volontiers non-sensique que n’aurait pas renié son compatriote et illustre aîné Calvino, écrit aussi des petites histoires où le bar tient une place plus ou moins centrale : cet octogénaire qui vient à bout d’une partie de jeu vidéo pourtant réputé impossible à terminer, cette enquête policière miniature dans un bar-jazz enfumé où joue un saxophoniste aveugle, l’histoire de deux pêcheurs qui étudient le langage des poissons, au Bar de la Nageoire… Conteur de génie, Benni rend incompréhensible la non-fréquentation quotidienne par certains de nos contemporains du troquet du coin. Une attitude inacceptable quand on sait, pour en être de fidèles clients, pour avoir lu Bar 2000, ou les deux, les innombrables histoires fabuleuses qui s’y déroulent.