Les Enfants de Saint-Pétersbourg : un pulp-fiction sous acide dans la Russie post-Glasnost, le premier roman de Sergueï Bolmat, déjà connu à l’Est comme peintre et scénariste, et un authentique coup de maître. On y retrouve le ton délirant et génial d’un Boris Vian qui serait passé des cabarets de Saint-Germain-des-Prés aux boîtes pétersbourgeoises et du jazz à la techno. Les personnages : de jeunes noctambules bohèmes, encore très adolescents et joliment irresponsables. Tioma, régulièrement saisi d’inspiration, écrit par paquets des poèmes parfaitement débiles ; Marina, son amoureuse enceinte, suce des Chupa-Chups, convaincue du génie de Tioma. La Coréenne Kho (« little bouddha ») est prise de crises mystiques entre deux parties de jeux vidéos. Et Anton, hacker fortuné et généreux, pense en langage html. Leur quotidien : nuits en boîtes, pétards et champignons hallucinogènes, squats et petits boulots genre maquillage de cadavres ou vente de vibro-masseurs… L’intrigue : Marina et Kho se retrouvent en possession du portable d’un tueur à gages et répondent à un appel en acceptant son argent et sa mission -supprimer un maffieux fruste et dangereux, Kharine, qui va s’éprendre de Marina tandis que Tioma se révèlera meilleur flingueur que faiseur de vers.

Porté par un humour noir et bariolé décapant, Les Enfants de Saint-Pétersbourg est magnifiquement structuré et stylé. L’écriture est souvent cinématographique (rembobinage, arrêt sur image, ralenti, travelling narratif), les subjectivités délirantes des personnages parasitent la narration à coups de rêves, trips et hallucinations. La narration dérive sans arrêt sur des détails secondaires, le lecteur se retrouvant à l’occasion dans la tête du chien de Marina ou de son bébé sur le point de naître, par dérapages systématiques et contrôlés. Contrôlés par un narrateur tout aussi délirant que les personnages, qui subvertit lui-même sa propre fonction. Jouissif, extravagant, psychédélique, ce roman sera aussi une leçon pour nombre d’écrivaillons français sérieux et impuissants : il leur prouvera qu’on peut-être ludique et efficace tout en pratiquant de multiples, subtiles et brillantes innovations formelles. Car Bolmat, lui, ne se prend jamais au sérieux ; et pourtant, violent et léger, irrésistiblement drôle et intelligent, touchant bien que jouant sur un perpétuel second degré, il arrive à une maîtrise parfaite de sa machine littéraire, en évitant tous les écueils d’une imagination débridée par une subtilité exquise, sauve au milieu des balles perdues et des cadavres s’empilant joyeusement sous les tables d’un café branché de Saint-Pétersbourg.