Nous sommes en Combrie, là où Sarah Hall revient toujours. Une question de paysages, une manière d’expérimenter le monde, d’« harmoniser ses personnages à leurs lieux de vie », dit-elle. Et l’harmonisation, ici, est un défi : il s’agit de renouer avec la sauvagerie du monde, un état originel, évanoui depuis 500 ans. Le temps du loup.

La Frontière du loup est une quasi anticipation fine d’une Angleterre légèrement décalée. On y réintroduit le loup en vase  clos, tandis que l’Ecosse, par référendum, se prononce en faveur de son indépendance. L’Angleterre policée et ses parcs naturels comme des jardins extensions des villes, « de jolies promenades, de beaux panorama et un endroit pour prendre le thé »,  séparée (malgré elle) de l’Ecosse et de ses « zones abandonnées », propices au « réensauvagement ». C’est pourtant côté anglais que naît le projet de réintroduction du loup, porté par un Lord excentrique et richissime, comte d’Annerdale, prêt à tout pour s’entourer des meilleurs. Parmi eux, Rachel Caine, zoologue, fille du pays qu’il va chercher dans sa réserve de l’Idaho. Le retour de Rachel n’a rien d’évident, mais les circonstances aident. Sa mère qui la tenait éloignée est morte, elle-même se découvre enceinte. Elle n’a pas grand chose à perdre ; elle accepte le job.

Le roman s’installe alors dans une temporalité particulière. Tout à l’air long, très lent, alors que quelques mois à peine s’écoulent. Le couple de loups, Ra et Merle, capturés en Roumanie, arrive. Quarantaine, acclimatation, séances de relations publiques pour rassurer le voisinage, entretien du domaine et de l’enclave, avancée de la grossesse de Rachel… Le tout est rythmé par le passage des saisons, les changements de la lumière, les frondaisons alentours, les températures extérieures. Rachel se prend au jeu. L’aventure des loups fait écho à ses propres transformations. Ce qui lui paraissait un projet improbable devient une hypothèse crédible. « Elle aimerait penser qu’un jour le pays dans son entier se réensauvagera, quelles que soient ses divisions récentes telles qu’exprimées par les urnes. Elle aimerait croire qu’il y aura de nouveau un endroit où les réverbères s’arrêteront pour faire place à la nature sauvage. La frontière du loup. Si c’est ici, qu’il en soit ainsi. La fin justifie les moyens ». Puis comme les choses ne peuvent aller simplement de soi, le drame survient. Les loups s’enfuient, la traque commence, qui conduira évidemment jusqu’en Ecosse.

Politique fiction, roman écolo, quête identitaire : La Frontière du loup est un peu tout ça, on y retrouve les thématiques qui parcourent les textes de Sarah Hall. La lecture intimiste d’un paysage où s’inscrivent ses personnages, une histoire d’amour, la question de l’identité, la sexualité, la présence animale en écho à une forme de violence latente, primaire. Tout est là, mais quelque chose dysfonctionne. Pour contrer ses instincts, Rachel se tient dans le contrôle, la retenue, l’emprise, interdisant toute surprise, même quand l’intrigue devrait l’autoriser. Les évènements s’empilent plus qu’ils ne s’agencent, le roman y perd en cohérence. La grossesse, les premiers mois de la maternité, la transmission d’une histoire, l’écoute de l’autre, la découverte, l’acceptation de soi, tout semble effleuré. Les loups en sortent vainqueurs. C’était peut-être l’objet du récit. Oublier la problématique humaine, renouer avec la sauvagerie, l’instinct. Trouver sur la lande une nouvelle frontière au loup.

Traduit de l’anglais par Eric Chédaille.