On ne prête pas grande attention à Robert Penn Warren. C’est un tort. Alors que Faulkner jouit d’une belle réputation, ce contemporain auquel on le compara est au Purgatoire. Pourtant, cet auteur ayant exploré le mythe du Sud n’a rien à envier à son aîné. Après L’Esclave libre, les éditions Phébus ont décidé de publier Les Fous du roi. Il passera inaperçu dans les salles de rédactions, puisqu’il est toujours plus utile pour ces gens-là de défendre l’indéfendable plutôt que de s’intéresser à un grand écrivain. En effet, le lyrisme qui parcourt Les Fous du roi en fait un roman vigoureux. La violence s’y trouve en bonne place -les souvenirs de la guerre de Sécession sont encore vivaces. La victoire des bouchers du Nord pèse lourdement sur les hommes du Sud. D’où un certain romantisme des causes perdues et un attrait pour l’échec chez ces esprits humiliés. Une scène du roman en donne une idée qui nous semble juste, lorsque l’auteur exprime les sentiments complexes d’un anti-esclavagiste fidèle à la tradition sudiste, et qui meurt dans les rangs des Confédérés sans avoir tiré un seul coup de feu.
De même, le portrait de Willie Stark emprunte à l’Histoire : il est inspiré d’un ancien gouverneur de Louisiane, Huey Long, orateur plaisant aux foules, et démagogue ayant instauré la corruption et le chantage. Son idéal de justice (défendre les pauvres) se rattachant aux idées qu’il exprime sans pouvoir les réaliser. Un coup de feu sur les marches du Capitole arrêtera net sa course. Car la loi repose entre les mains de citoyens sans scrupules. Ainsi, le personnage du juge a d’autres mœurs. Il représente le monde de la chair. Il se trouve face à ceux qui ne s’en tirent jamais, les damnés, les hors-la-loi, toujours lucides sur leur condition, mais impuissants. Ils suivent la marche du monde sans s’y intégrer vraiment (aucune communication n’est possible entre ces deux mondes, celui des politiques-financiers et celui des réprouvés).
Il faut donc relire ce dramaturge. La force explosive de son style très imagé parcourt l’ensemble de son récit. Il sait ménager l’attention du lecteur jusqu’à la fin (l’histoire de Cass Mastern), car rien ne nous est donné jusque-là. Peu de romanciers peuvent prétendre à cela. Il en est de même de sa démonstration, qui ne souffre d’aucune faille. Et là, on est plus très loin de la métaphysique.