Rien que la vie est un brouillard crépusculaire fait de quatorze nouvelles et d’autant de nuances de gris, qui conserve la magie narrative coutumière d’Alice Munro et montre la mélancolie des paysages canadiens à travers divers fragments d’existences. Greta, une femme mariée, traverse le pays en train avec sa fille et manque de la perdre pour avoir succombé à un désir adultère. Vivien, jeune enseignante, débute sa carrière avec des enfants malades dans une école liée à un hôpital. Ray et Isabel ont le sentiment d’avoir participé au bonheur d’une jeune fille au père tyrannique en lui permettant d’accéder à la culture cinématographique. Une femme se souvient du jour où elle a perdu sa grande sœur, courageuse, indestructible…

L’écriture de Munro possède une modestie rare et précieuse qui, à partir de traits simplement décrits d’où se dégagent les ondes d’une réalité pure, émet un bouquet d’impressions et de symboles. Comme dans cette scène de « Jusqu’au Japon » où Greta, venant de retrouver sa fillette immobile entre deux wagons après l’avoir abandonnée au sommeil, s’imagine une fin heureuse si elle n’avait pas été là à temps, pour dissimuler la vraie image qui torture son esprit, son enfant tombant entre les rouages du train en marche.

Les histoires d’amour, la perte des proches, la reproduction des schémas parentaux sont ici autant de repères dans la conscience ; les souvenirs, l’assemblage en mosaïque du cours de l’existence, avec ses oublis, ses événements, ses détails que le présent convoque à la mémoire et qui s’empressent de disparaître à nouveau. Tel est l’effet provoqué par ces histoires où la sensibilité féminine se fait sentir dans de personnages fragiles, à la fois effacés et remarquables par leur profondeur. La vie est une chose, l’interprétation qu’on en fait une autre : « Tout est devenu trop compliqué pour qu’on cherche à l’expliquer ».