Rick Bass vit dans le Montana depuis des années : on l’imagine sans peine traverser les immenses étendues glacées de l’hiver, dormir à la belle étoile, parcourir jusqu’au moindre sentier dans les bois puis rentrer chez lui, ivre d’espace et de grand air, de beauté brute inviolée, pour se mettre à écrire. Il y a dans ses mots une clarté cristalline, l’essence même de la pureté, l’harmonie définitive avec la nature en ce qu’elle a de plus sauvage, de plus grandiose, de plus éclatant. Bass use d’une écriture limpide, racontant successivement amours mortes et couleurs vives, forêts, silence, souvenir, amertume ; il peint le tableau en mouvement d’un monde et d’un rêve, la vie de personnages aux univers décalés, la rencontre de solitudes, de solitaires. On croise la mort des hommes, sans chant du cygne, la nuit, les étoiles, la neige, l’oubli, l’eau, la forêt. La couleur vibre dans l’air froid.

C’est en décrivant le monde qui naît à la faveur de l’hiver que Rick Bass ouvre ce nouveau recueil, dans la nouvelle qui lui donne son titre, « L’Ermite ». Un homme et une femme, perdus avec leurs chiens sous un lac gelé. Des années après, la femme, dernière détentrice du secret de ce moment unique, résultat d’un « rythme inévitable du destin, contenant du coup une forte charge magique », se souvient et raconte. Dans tous les microcosmes que Bass construit, avec chacun ses lieux et ses gens, on retrouve cette charge magique. Si homme et nature sont indissociables, le monde de Rick Bass est d’abord celui de la vie, dans ce qu’elle a de plus banal. Ses personnages évoluent, avec leurs rêves quotidiens, leurs tracas ordinaires ; des couples qui croient se connaîtrent découvrent que leur amour vacille sur une faille intangible, d’autres sentent la fin arriver et cherchent à retrouver la minuscule étincelle qui créait la magie. Pour tous, la réponse est à portée de main, à un souffle de hasard ou de chance. Il y a le souvenir de la course sous le lac gelé, l’errance dans l’obscurité insondable de « La Grotte », « Les Cygnes », « silencieux comme des dieux, évoluant en cercles élégants sans jamais proférer le moindre son », la sagesse des cerfs et des loups, le danger du feu dans « Le Pompier », le voyage mélancolique de « la Fête du Président ». Une image, que Bass utilise à plusieurs reprises, est celle d’oiseaux gelés, figés dans leurs derniers mouvements, dont l’existence fragile est étroitement liée à la nôtre. Il suffit en effet d’un feu allumé à temps pour les ramener à la vie, les sortir de leur long sommeil, juste un peu étourdis.

Bass observe la difficulté des rapports humains, effleure avec nostalgie le temps qui passe, mêle dans une étrange harmonie la lumière, une couleur dans laquelle se perdent tous repères réels, une force et une sauvagerie impossibles à ignorer. Car sauvage et civilisé sont étroitement liés, dans un univers qui tente de protéger ses derniers refuges encore libres. Les mots de Bass résonnent parfois comme un appel qui ne veut pas se taire. Qui survivra, tant qu’il y aura des bois et des forêts, des étendues glacées, une ombre de couleur bleue pour teinter le soir, jaillir du sol, se réveiller à la faveur de la nuit. Tant que nous nous souviendrons « de ce qui est en jeu », tant que nous verrons arriver avec le crépuscule un « messager d’entre deux mondes », tant qu’il y aura « un soulèvement du cœur, un mouvement lointain dans les bois, du bleu, sauvage et puissant ». Un retour aux origines d’une humanité qui touche ici les racines de son authenticité.