Des chiens, des clandestins, des fermes perdues dans le désert, des règlements de compte, des trafiquants : le Los Angeles de Richard Lange a décidément tout pour plaire. Comme celui de James Frey (LA Story) ou de Crocs, fabuleux premier roman de Toby Barlow. La cité des anges demeure labyrinthique, brûlée par le soleil ; Hollywood n’y est même plus un mirage. Il n’en est d’ailleurs pas question dans Ce monde cruel, si ce n’est à évoquer les touristes qui grouillent sur Hollywood Boulevard.

Ce que nous raconte Richard Lange, c’est l’histoire de Jimmy Boone, brave garçon, ex-marine, un temps reconverti garde du corps, un type qui n’a pas eu de chance et qui purge sa conditionnelle tout en quêtant sa rédemption. Difficile d’éviter les clichés inhérents à la figure de dur au cœur gros, mais on s’attache malgré tout à cette aventure dans les bas quartiers de la ville, pas totalement le pire de ce qu’on imagine de la pègre locale, mais un quotidien de misères, magouilles, trafics en tous genre qui n’a rien de reluisant non plus. Et puis la plume de Lange est percutante. Les nouvelles de Dead boys ne laissaient guère de doute à ce sujet ; on la retrouve ici. Il y a cette forme de sécheresse, adoucie sans cesse par l’attachement aux personnages caractéristique du portrait du loser tel que sait le dire la littérature américaine. Les lieux sont des non-lieux, des bars sans ambition, des appartements sans âme, des villas en parpaing au milieu des broussailles, des serpents à sonnettes, des routes dans le désert, sans début, ni fin.

D’un no man’s land à l’autre, Jimmy Boone se glisse, croisant les routes de dealers paumés, de chefs de gangs brutaux, d’immigrés silencieux. Sans parler des chiens, omniprésents, dont les combats sanglants occupent des soirées minables. En parallèle, un peu trop évidemment, s’ébauche une histoire d’amour impossible, mais qui s’insère dans la trame générale du texte, sans nuire à la forme revendiquée de ce roman noir où tout s’achèvera à peu près bien, morale oblige, dans cet univers que même une quête juste ne saurait durablement transformer : « Le tourbillon de la ville, brutal et écrasant, menace de le mettre en pièces, alors il baisse la tête, se raccroche à quelques cruelles vérités, et laisse le reste être emporté ».