Parfaite maîtrise de la construction, subtilité des indices déposés ici et là dans les premières lignes, précision des portraits, justesse des monologues : on dirait volontiers, si l’on ne craignait pas les mots réducteurs, que Richard Ford est d’abord et avant tout un extraordinaire technicien, dont il n’est que de lire deux pages pour comprendre qu’il fait à tous égards partie des meilleurs écrivains américains contemporains. Chacune des dix longues nouvelles de ce recueil sur le couple, l’amour et l’adultère mériterait d’être lue et relue tant la discrète manière qu’a l’auteur d’Indépendance (le roman qui lui valut le Pulitzer en 96) de dessiner un personnage, d’installer un climat, d’instiller un doute et de faire entrevoir la profondeur d’un sentiment est exemplaire.

Les scènes et situations proposées ici n’ont pourtant rien que de très banal : adultères foireux entre petits bourgeois quelconques, faiblesses intimes finalement bien excusables, lâchetés et mensonges plus ou moins anodins, faux-semblants et coïts tristes dans des motels de bord de route. Les narrateurs ? Un adolescent dont le père a pris la poudre d’escampette pour vivre avec un homme à des centaines de kilomètres de là ; celui-ci téléphone un jour à son rejeton et l’invite à une chasse aux canards. Ailleurs, après une bonne partie de jambes en l’air dans un hôtel, un homme reçoit un coup de fil du mari de sa partenaire : il est en bas, prêt à lui démolir la tête. Variation : à la gare de New York, le narrateur croise par hasard l’époux d’une femme qu’il a baisée. Impossible de détacher ses yeux des siens ; le type marche droit sur lui : discussion. La dernière nouvelle du recueil, plus longue et d’ailleurs séparée de la série des neuf autres, est probablement la meilleure. Deux agents immobiliers, homme et femme mariés, ont pris l’habitude de coucher ensemble à chaque convention de la profession. Coucher, sans plus ; jusqu’au jour où elle l’entraîne dans une virée en voiture où, de purs amants de passage, les partenaires vont dangereusement se rapprocher de ce qui fait un couple conventionnel.

L’impact de l’écriture de Richard Ford (la traduction est signée Suzanne V. Mayoux), la richesse des univers qu’il parvient à mettre sur pieds en quelques lignes font tout le prix de ces dix textes où l’intimité, le couple et le sentiment (amour, désir, lubricité, haine, gêne, dégoût) sont abordés et visités avec l’intelligence et la sobriété qu’on chercherait en vain dans plus d’un roman français. S’il ne peut guère être affilié à l’une ou l’autre de ces écoles et courants par lesquels on a l’habitude de cartographier la littérature américaine (le grand Sud, auquel le rattache sa naissance à Jackson, Mississippi, en 1944, ou la nébuleuse du Montana, auquel on l’a très artificiellement associé suite à son déménagement à Missoula et ses accointances avec Harrison et McGuane), Ford partage avec nombre de ses compatriotes et contemporains un refus des effets de manche inutiles et de l’affectation ostentatoire qu’auraient pu favoriser pareils sujets. L’impact et la retenue de ces dix textes ont au contraire tout d’un très grand maître.