Chacun apprend à lire -s’il est vrai que l’on puisse apprendre ce genre de choses- là où il peut. Suivant sa condition physique et sa force morale, il se portera vers des quotidiens, périodiques, revues, tout ce que vous voulez, aiguisant sa curiosité. Le choix est illimité. Il en est de même pour la critique littéraire -appelons ça comme ça. Si la chance lui sourit, un jour ou l’autre, il tombera sur Renaud Matignon (une tête d’aigle posée sur un corps en souffrance, mais qui n’en laissait rien paraître). La vie du lecteur en sera sensiblement changée. Dorénavant, il lira de bons auteurs et apprendra à détester les autres. Bref, il finira par disposer d’une bibliothèque d’honnête homme.
C’est avec une aisance qui ne fut jamais le signe de la facilité -en quelque sorte une paresse créative qui n’appartenait qu’à lui- que Renaud Matignon donna ces articles, ici réunis en un fort volume par Etienne de Montéty, au Figaro. Il lui arriva fréquemment de foncer sur sa proie, au besoin pour la dépecer. Mais il porta toujours un regard attendri sur les livres qu’il chroniqua. Héritier de la grande tradition des Daudet, Haedens et Nimier, ses choix étaient ceux d’un juste.
Il ne fait aucun doute que les autres critiques de sa classe (1940) iront tous en enfer -sauf Rinaldi, qui connaîtra les joies du Purgatoire avant de savoir quel est son destin. Lui seul est au Paradis. Comme il fut bien seul à survoler cette littérature qui était sa vie, démasquant ici et là les usurpateurs, réconciliant les siècles, insufflant une liberté de ton à un genre corseté et s’étant imposé des règles de petites filles (parler des copains-copines, défendre les médiocres, etc.). Certains lui reprochèrent de ne pas avoir fait une œuvre, ce mot prostitué par les auteurs eux-mêmes. Là-haut, il doit bien rigoler. Elle est là, et porte un nom : La Liberté de blâmer. Son talent n’obéissait à aucune loi. Mais il en définit quelques-unes.