C’est le personnage littéraire inattendu de ces derniers mois : Winston Churchill, figure de la politique britannique, parlementaire, Premier Ministre et, on l’oublie parfois, prix Nobel de littérature en 1953 pour ses récits historiques, ses mémoires et ses discours, qu’il écrivait lui-même. Dans sa jeunesse, Churchill s’était même essayé au roman : à 23 ans, il écrit Savrola, une étonnante fable politique sur une révolution dans un pays méditerranéen imaginaire, truffée de clefs et de portraits de ses proches… Traduit en 1948, ce texte oublié, modeste mais palpitant, était devenu introuvable ; il est aujourd’hui réédité (Ecriture, 264 p.), avec une préface de Pierre Assouline. Mais il y a une autre actualité pour l’ancien Premier Ministre : grâce à la jeune romancière Rebecca Hunt, le voici propulsé au rang de héros de roman. Une Humeur de chien raconte ses derniers jours au Parlement, en juillet 1964 ; à 89 ans, l’ex-Premier Ministre s’apprête à tirer sa révérence et à quitter son siège. Evidemment, il est déprimé, d’autant plus que sa fille aînée Mary s’est donné la mort l’année précédente, à 54 ans (les Churchill avaient déjà perdu une fille, Marigold, en 1921).

La dépression, ce « chien noir sur mon épaule » comme il dit souvent, fait son retour. Sous les traits, précisément, d’un énorme chien noir de deux mètres, dressé sur ses pattes arrière, avec qui il noue un étrange commerce philosophique depuis des années… Quand il ne s’entretient pas avec Churchill, ce gros chien grossier nommé « Black Pat » s’acharne sur sa logeuse, une brave bibliothécaire qui lui loue une chambre et qui rumine en secret le suicide de son mari, deux ans plus tôt… Sur le mode de la fable, Rebecca Hunt installe un amusant ménage à trois entre ces deux dépressifs chroniques et leur dépression incarnée. Très cinématographique (trois journées, un chapitre par tranche horaire), le découpage donne un rythme soutenu à cette petite comédie originale et pleine de charme, émaillée des considérations existentielles proférées par le grand homme : « La difficulté n’est pas de se battre pour accepter, mais d’accepter de se battre. Pour citer William Henley, c’est ainsi que nous demeurons capitaines de notre âme ». Plaisant.