La poupée du titre, c’est Julie, pimbêche française un peu fofolle mais pas si sotte, qui débarque à Londres sur invitation du barbon avec qui elle couche. Mais c’est aussi l’énorme pansement au doigt qu’elle arborera plus loin dans le livre, le langage médical et familier utilisant le mot pour désigner la chose. Et puis la poupée, c’est aussi le narrateur du livre, même si on n’en dira pas plus, pour préserver l’effet de surprise… Reprenons. Julie, donc, arrive à Londres, où elle largue aussitôt son vieux type, trouve un job de traductrice et s’ingénie à faire la fête autant qu’elle peut, jusqu’à se retrouver « glauquée » (sic) dans les toilettes de tous les rades de la ville. Un jour, elle tombe sur Edgar, jeune banquier fringant « qui pèse plusieurs dizaines de milliers de livres par mois + bonus ». Elle emménage chez lui, dans un luxueux trois-pièces où il fera d’ailleurs bientôt de somptueux travaux. Elle y cohabite avec Scott, le fameux narrateur dont on ne parlera pas ici. Vous êtes intrigué ? Normal, Sevestre sait s’y prendre. La scène d’ouverture de Poupée, où Julie, dans l’Eurostar, fait la conversation à une inconnue assise en face d’elle, est d’ailleurs l’une des ouvertures les plus réussies qu’on ait lues depuis longtemps. La suite n’est peut-être pas toujours à la hauteur, en raison de longueurs où on s’enlise ; mais la succession de saynètes, les brusques ruptures de ton et, surtout, la galerie de portraits (Edgar, son père peintre, sa mère envahissante, ses amis banquiers, etc.), sauvent cette comédie caustique et distanciée, avec une accélération finale où Julie et Edgar semblent dérailler ensemble en brouillant les repères. Un drôle de roman sur les objets transitionnels, l’infantilisme des trentenaires, la maniaquerie, le monde délirant de la haute finance et les marionnettes qui s’agitent autour de nous, si dépourvues d’autonomie que même les êtres inanimés peuvent leur faire la leçon.