Avec L’orchestre d’acier, Pierre Siniac transpose le roman noir en des temps qui y sont fort propices : la débâcle allemande de septembre 1944, en gare d’Horcourt, dans les contreforts des Vosges. La forêt est froide et humide, les routes parsemées de barrages, hantées par les silhouettes d’hommes dont on ne sait trop s’ils sont miliciens, résistants, ou un peu des deux. Période propice aux larcins, aux lâchetés, au dernier casse d’avant le retour de la paix et de l’ordre.
La lecture de ce roman nous tient en haleine à la façon des grands films noirs. La boue et l’acier en sont les deux éléments clefs : boue des souterrains où se terrent deux malfrats afin de subtiliser le trésor de guerre d’un colonel nazi, acier des rails et des locomotives qui déboulent sur Horcourt, emmenant Dieu sait quoi dans leurs wagons. Ballet mugissant rappelant le « fracas d’un marteau-pilon », comme si « dix mille tombereaux déversaient leurs pierres sur des plaques de tôle ». Et puis il y a les personnages, survivants boiteux et écornés de la vilaine Occupation, aux contradictions aussi immenses et troublantes que l’histoire du pays. Ces vivants clopinants rêvent de Paris, de fortune vite faite, de maison « aux murs blancs et aux volets vert pomme », de ces choses « que, même avec un milliard en poche, on ne reverrait jamais plus, un fleuve de boue et d’immondices ayant passé sur l’Europe ».
De véritables paumés qui crachent un venin tout mâtiné d’argot sur tout ce qui s’approche, courant après le temps perdu dans un contre la montre avec la guerre, rythmé par le passage d’hurlantes mécaniques ferroviaires. La mécanique du livre, quant à elle, est implacable. Elle précipite ses personnages vers une fin que l’on se surprend à souhaiter douce et qui, bien entendu, ne l’est pas.