Train, ou la confrontation de deux hommes qui se rencontrent par hasard et que le sort condamne à de funestes retrouvailles : avec ce sixième roman, Pete Dexter, ancien reporter, signe un polar noir et plonge dans un bourbier inattendu, celui des golfeurs, impitoyables sous le vernis luxueux des parcours huppés. Dans une Amérique des fifties qui peine à réfréner son racisme latent et se laisse pousser vers le fond par une violence omniprésente, les personnages sont en place pour un nouveau drame. Le golf est peut-être le pire des sports de combat. Los Angeles, donc, où Miller Packard est flic. Ancien militaire, il a vu ses camarades de combat bouffés par les requins, un à un, en 1945, dans le Pacifique. Depuis, il mange à des horaires improbables et dissimule sous une froideur apparente une sacrée dose de violence qui ne demande qu’à déborder. Lionel Walk, lui, dit « Train », 18 ans, est noir et caddy sur un golf magnifique où ne jouent que des blancs dont on se demande souvent ce qu’ils viennent faire ici. Lui montre un talent certain quand il s’agit de taper une balle du bout du fer 9 (signé Tommy Armour) qu’il a trouvé dans un coin et avec lequel il joue le lundi matin, quand tout est désert et que personne ne risque de le voir. On pense un instant Tiger Woods, puis on déchante : Train n’a rien d’un gosse de riche. Il a grandi dans sa banlieue et, depuis quelques temps, se demande si le nouveau type qu’a ramené sa mère ne va pas le mettre dehors sans qu’il ait même le temps de se retourner. Troisième personnage, enfin : Norah Rose, seule survivante d’un massacre organisé à bord du voilier de son mari, sauvée par l’intervention de notre ami Miller Packard, semeur d’ordre aussi bien que de troubles plus grands encore ; c’est le mariage de ces deux là qui finira par mener le récit à sa perte.

Pourtant, l’espace d’un instant, on se dit que les choses pourraient bien tourner. D’abord, on suit avec affection le personnage de Train. Quand il prend en charge un ancien boxeur aveugle, on le voit s’embourber dans une relation qui le paralyse mais dont il est incapable de se défaire ; peut-être parce que Plural est le seul à lui dire : « Tu peux être n’importe quoi, y a toujours quelque chose quelque part qui aime te bouffer. C’est la nature. C’est comme ça que le monde reste propre ». Et lorsque c’est au tour de Packard de prendre Train sous son aile, on se dit que tout est possible, que le gamin a peut-être trouvé son père adoptif. Et pourtant, à la fin, il ne restera rien de bien. Dexter varie les tons et la langue au point que l’on intègre les lieux qu’il décrit, qu’on rencontre les personnages qu’il suit. La tension qui se dégage du texte est palpable, étouffante. S’y ajoute l’extrême violence que le romancier balance à intervalles réguliers : meurtres, accès de folie furieuse, viols, mutilations. Tout ici est parfaitement dosé, épousant la ligne du texte pour lui donner un côté plus effrayant encore, plus éprouvant, d’autant que cette violence est soit parfaitement gratuite, soit absolument impunie (sinon dans la triste mesure de règlements de compte sordides, avec une police qui pour des histoires de noirs ne s’embarrasse pas de grands sentiments et cherche toutes les occasions possibles de s’en mettre plein les poches). Servi par cette écriture remarquable, le roman de Dexter n’en reste pas moins d’une approche parfois laborieuse (sa longueur finit parfois par peser). Mais l’atmosphère, le chassé croisé entre humour grinçant tempéré de vagues lueurs d’espoir et violence infinie, pessimisme absolu, sonne parfaitement juste. On arrive à la fin englué dans quelque chose qui paraît définitivement insurmontable. Comme si, finalement, rien ne pouvait venir délivrer ces hommes puisque le pire est toujours à venir.