A priori, Patrick Rambaud ne fait pas vraiment partie des auteurs pour lesquels on se passionne : ses parodies de Marguerite Duras et ses grands pâtés historiques goncourisables (La Bataille, en 1997) nous sont toujours tombés des mains, et son statut de notable de la république des lettres, gros vendeur et bon promoteur, n’ont jamais contribué à faire de ses livres des lectures prioritaires. C’est donc par hasard et par curiosité distraite qu’on s’est lancé dans L’Idiot du village, son énième roman : on n’y a certes pas trouvé un chef-d’oeuvre mais, surprise, un excellent petit roman fantastique à la Marcel Aymé sur le thème, éculé mais toujours fertile, du dérèglement temporel et du voyage dans le passé. Le narrateur achète son journal, s’assied « à la terrasse d’un bistroquet de la rue Montorgueil » et commence sa lecture. Stupeur : le journal ne contient pas les informations du jour mais celles du 8 mai 1953. « La régie Renault s’efforce d’obtenir la reprise du travail », « Repli des forces vietminh au Laos », « Le groupe R.P.F. va changer de nom et s’efforcer de sauver son unité », « puis un articulet signé Jacques Fauvet en cul de page ». Ce sera la première d’une série d’hallucinations qui vont peu à peu ramener notre héros dans les années cinquante, à un âge où lui-même traînait ses culottes courtes sur les bancs de l’école et sur les parquets de l’appartement familial, pas loin des Champs Elysées. Les crises sont d’abord passagères (une ancienne locataire de son immeuble passe fugitivement dans son champ de vision, alors qu’elle est censée être morte depuis des lustres), puis se mettent à durer : pour finir, il prend bel et bien racine dans une époque qui n’est pas la sienne. Dans ses bagages, deux armes qui vont lui faciliter l’existence : des manuels d’histoire consacrés à la Quatrième République, autrement dit aux événements qui vont se dérouler dans l’avenir proche ; de quoi entamer une fructueuse carrière de devin ou de stratège politique, même si prédire le futur n’est pas toujours sans danger sur la marche du monde…

On l’aura compris : L’Idiot du village n’a rien que de très classique, et déroule sans surprise le scénario joué d’avance d’un conte universel dont il n’est qu’une nouvelle variante (« Vieux mythe, vieux rêve, vieille envie », admet d’ailleurs Rambaud sous sa dédicace). A la limite, ceux qui ont vu la série des Retour vers le futur se diront qu’il y a comme un petit air de ressemblance, les cheveux en bataille de Christopher Lloyd en moins : même fil directeur, mêmes enjeux (la confrontation à soi-même, les retrouvailles avec un être aimé qui ne vous connaît pas encore, les conséquences sur le futur des interventions sur le passé), mêmes accessoires (le relevé des résultats sportifs dans le film de Zemeckis, le manuel d’histoire dans le roman de Rambaud). Reste que sous sa facture ultra-conventionnelle et malgré le léger goût de déjà-vu qu’il laisse, L’Idiot du village est un récit impeccablement troussé et honnêtement palpitant (difficile de ne pas aller au bout après l’avoir commencé), qui ne restera sans doute pas dans les annales mais qu’on ne lit certainement pas sans plaisir. Vu l’ennui et le peu d’amusement que procure la plus grande partie de la production contemporaine, cela suffit à en faire une honorable exception.