Ogr est un livre à l’ograssature martiale. On tombe dedans comme dans une grosse popote et au moins dans toute sa première partie, Le livre de Nycéphore, on reçoit de sacrés coups de tatanne qui laissent perplexe. Ce n’est que dans la seconde et dernière partie, Le livre de Nicolaï, que l’écriture fait une trêve en rompant avec le rythme qu’elle s’était imposée. Mais peut-être est-il déjà trop tard, l’auteur ne semble plus le même, comme s’il avait été lui aussi phagocyté. Il y a une progression, peut-être réellement chronologique, dans ce qui fait Ogr, c’est-à-dire un livre tiré de sa propre cuisse, dévoré par lui-même. Les 250 pages d’Ogr sont la digestion de 25 000 pages initiales ! L’auteur lui-même, au contact de son œuvre, s’est dissout, comme l’ogre qui perd son « e », son sexe : Onuma Nemon signifie Celui qui a dit non… à son nom.
Ogr est la preuve que les lettres sont encore en chantier. Onuma Nemon innove en proposant, chez Tristram, une vingtaine de récits accompagnés de photos, de dessins. Tout se mélange pour former une suite souvent poignante, quelques fois à la limite de ce que l’entendement humain est capable d’entendre. Entre autres, Magdalena, la Grosse, est une histoire d’une densité suffocante, le récit d’une insatiable dévoreuse sur fond scatologique évoquant bien souvent l’abondance pantagruélique de festins déraisonnables. Onuma Nemon inaugure l’écriture mandicatoire.
Ogr, c’est aussi ce qu’un homme s’est imposé avec la rigueur propre aux arts martiaux. Cet aspect de l’œuvre est parfois déroutant, comme si « L’homme-qui-n’est-personne » devait se fuir dans l’exercice systématique et quotidien de l’écriture. Comme on exécute des katas, sans qu’il soit jamais question de cœur mais plutôt de discipline. C’est l’aspect martial de cette écriture qui parfois laisse perplexe. Ogr est le fruit d’une guerre entre un homme et ses fantômes. Le lecteur n’y a pas toujours sa place : « …Tu n’en as rien à foutre, lecteur, mais le mot reste. »