Tout commence par une menace : « Un point s’enferma dans l’œil du silence ». Comme celle qui continue de peser sur ce roman interdit par les « ministres de la mort » (cf. la préface de Jacques Henric). Car ce roman écrit par un tout jeune auteur revenu d’Algérie, alors que la guerre continuait à faire rage, dérangea les bien-pensants. Son nom : L’Épi monstre. Son auteur : Nicolas Genka. Le sujet : dans une campagne misérable, un père, Morfay, vit dans un climat incestueux avec ses deux filles, Mauda et Marceline. Deux caractères antagonistes plongés dans la défiance ; deux faces de ce que l’on pourrait considérer, quitte à les réunir, être La Femme. La chute des personnages va se précipiter dans une danse macabre, sur fond de réminiscence de la guerre… et de folie.
Si les femmes ont passé un pacte avec la nature et semblent mieux armées que les hommes pour affronter le chaos, elles n’évitent pas toujours les carnages de l’amour. Surtout lorsque celui-ci se situe au-delà -et en deçà- de toute humanité. Avec ce texte à la fois extrêmement réaliste dans ses descriptions et porté par un lyrisme apocalyptique (celui de Morfay), Nicolas Genka s’est attelé à exprimer quelques vérités : la tragédie de la dégradation des liens communautaires, la fin de l’utopie communiste (pour mémoire, nous sommes en France au début des années 60), les transgressions à venir, notamment celle de la « révolution » culturelle adoptant une morale contre-nature. Mais aussi celle d’un Amour qui n’ose dire son nom. Marceline à son père : « Je suis tout ce qu’il veut, tout ce qu’il rêve, chacun de ses gestes. Je suis sa richesse insoupçonnée. Je peux changer de monde et de visage pour lui plaire ». A lire cet ouvrage aujourd’hui, cette création à l’intérieur de la grande création, aucun doute n’est permis : la force convulsive qui anime ces êtres est celle de la vie même. Et sa poésie reste inépuisable.