La force, la volonté inlassable qui sont celles de Myriam Anissimov d’écrire sur et autour du génocide juif, des camps, de la barbarie nazie, déjà connues au travers de ses précédents ouvrages (La Soie et les cendres, ou sa fameuse biographie de Primo Levi, La Tragédie d’un optimiste), suffisent à conférer à la lecture de ce texte une évidente urgence. On le sait, mais on risque toujours de se laisser aller à l’oublier : la mémoire est soluble dans l’eau, et l’indicible, puisque intraduisible en mots, a tendance à s’effacer avec le temps, au fur et à mesure que les témoins s’en vont. C’est justement à ces hommes que l’auteur consacre Sa Majesté la Mort : « La presque totalité des membres de notre famille avait disparu avant ma naissance. Ils étaient nés à Szydlowiec, une petite ville de Pologne, proche de Radom, où les Juifs avaient été séquestrés par les Allemands, avant leur déportation et leur liquidation dans les chambres à gaz du camp d’extermination de Treblinka, en 1942. » Que sont-ils devenus ? Des oncles, des lettres, des lieux : tout est pour Myriam Anissimov l’occasion d’un exercice de mémoire et de savoir.

Ce travail convoque plusieurs formes littéraires, jusqu’à deux passages romanesques (un portrait du chef d’orchestre Sylviu Eliadu ; un périple nocturne et dangereux dans la zone de fret de Kennedy Airport, à New York) qui soulignent étrangement la question de la fiction face à l’horreur -suite, notamment, à des phrases indignées et virulentes écrites à l’encontre de certaine comédie italienne récente, primée, colorée et démagogique.
On ne filme pas, on n’écrit pas sur l’horreur nazie comme sur un clip-vidéo, et ce n’est que parce qu’elle ne se veut pas telle que l’œuvre d’Anissimov est littéraire. Ce texte magnifique, au-delà des questions qu’il suscite (quelle forme pour désigner l’innommable ? quelle place pour le fictif dans sa relation ?), touche au plus profond par cette majesté dont il entoure la Mort ; la mémoire doit penser les tombes, pas les profaner.