« En France, Jacques le Fataliste, précise Milan Kundera dans L’Art du roman, est scandaleusement sous-estimé : il concentre tout ce que la France a perdu et refuse de retrouver. » C’est-à-dire, en un mot, la fantaisie. Avouons qu’on avait oublié la liberté de forme du texte de Diderot, qu’il avait lui-même puisée dans le Tristram Shandy de Laurence Sterne. Kundera ressuscite avec virtuosité ce flirt du sérieux et du comique, ce portrait de nos failles à travers des personnages qui déraillent.
« J’ai écrit Jacques et son maître pour mon plaisir intime », écrit l’auteur dans l’introduction à sa variation sur le roman de Denis Diderot. Il faut dire qu’à l’époque, en 1971, les Soviétiques occupaient Prague et avaient interdit les écrits de l’auteur, qui ne publiait plus. C’est peut-être cette incertitude de le voir joué qui fait que Jacques et son maître est de ces pièces qui se lisent comme un roman, même si elle a fait désormais le tour des scènes du monde.
Elle a d’ailleurs été toujours plus lue que jouée. Car, confie l’auteur dans une note écrite pour l’édition en poche, heurté un jour par une mise en scène trop libre, il n’a pendant longtemps accordé son autorisation qu’à des théâtres amateurs ou ayant peu de moyens. Aujourd’hui encore, il reste sur ses gardes. Ainsi a-t-il déclaré fermement à Nicolas Briançon, l’actuel metteur en scène et interprète du rôle de Jacques au théâtre 14, à Paris : « Je ne veux pas de coupures, respectez le livre. »