Mickael Moorcock fait partie de cette catégorie d’écrivains capables du pire comme du meilleur. Outre sa conséquente participation à la revue New world, qui révolutionna la S-F de la fin des années 60, aux côtés de Ballard, Adiss et Brunner, Moorcock est un auteur prolixe, généralement classé au rayon science-fiction des librairies. Connu de tous les amateurs d’Œuf cube (magasin de jeux et merchandising fantasyesque), Moorcock est considéré comme un ponte de la paralittérature, une sorte d’héritier soixante-huitard de J.R.R. Tolkien. Il est vrai que les deux hommes partagent un même goût de la démesure et un imaginaire foisonnant. A ceci près que l’œuvre fondamentale de Tolkien, Le Seigneur des anneaux, repose sur une construction exemplaire, tandis que les récits de Moorcock oscillent entre une grande qualité structurelle et stylistique, et une facilité ringarde qui n’abuse que les fans les plus mordus. Surfant sur la vague de rééditions S-F, Denoël propose ici une compilation des trois romans du cycle Les Danseurs de la fin des temps, suivis de trois longs récits.

L’action débute des millions d’années après notre ère. L’être humain, devenu éternel, évolue dans un monde baroque où la recherche du plaisir individuel à des allures décadentes. Au sein de cette toile de fond -sorte de bric-à-brac de fantasmes de l’Occidental moyen-, tout est matériellement possible : dès lors, on peut légitimement s’étonner, qu’après tant d’années -des millions– les personnages n’aient d’autres fantaisies que de conduire une « locomotive à vapeur des débuts du XXe siècle », ou d’habiller leurs robots domestiques d' »un derby, [d’]un imperméable, [et d’]une culotte de golf. »
Dans cet univers, Jehrek, fils naturel de la sublime Orchidée de Fer, rencontre Amelia Underwood, une femme enlevée à l’Angleterre du XIXe siècle. Il en tombe aussitôt amoureux, et parvient à la séduire à force d’attentions souvent pathétiques (« Je vous ai apporté des chocolats, des vêtements. Je vous ai juré un amour éternel »). Alors même qu’ils sont sur le point de consommer leur amour, Amelia disparaît dans les profondeurs du temps. En bon chevalier, Jherek ne se laisse pas démonter ; il « se rend » au XIXe siècle à la recherche de sa dulcinée et découvre, avec une naïveté qui frise la niaiserie, un monde qu’il n’imaginait pas. Toujours détendu, il commet malgré lui nombre de bévues, censément drôles, comme de parler très librement du « sperme authentique » utilisé par sa mère pour sa conception.

On l’aura compris, ce roman s’organise autour d’une trame dramatique prétexte à une déclinaison de fantasmagories gratuites, et pas toujours du meilleur goût. Moorcock surenchérit à l’excès, se faisant visiblement plaisir -ainsi l’épisode où l’on croise un certain H.G. Wells, discutant des extraterrestres. Loin de son cycle relatant les aventures du baron von Beck (Le Chien de guerre et la Douleur du monde et La Cité des étoiles d’automne), qui mêlait une rigueur stylistique, une « vraie » charpente dramatique, et un imaginaire débordant, Les Danseurs de la fin des temps révèle un côté post-ado romantique détestable, mielleux à souhait, et que l’on a déjà pu lire dans de nombreux romans d’anticipation ou d’heroic-fantasy -on se souvient notamment des envolées doucereuses qui salissent certains récits de Barjavel. Malgré une imagination foisonnante et un réel talent à faire coïncider une trame dramatique fleuve et des myriades d’éléments fantaisistes, ce livre agace par son manque de finesse, ses personnages faussement originaux et ses symboliques cheap. Dans une décennie où l’actualité de la S-F a atteint des sommets de qualité, tous supports confondus, on se demande qui voudrait aller s’empêtrer dans une lecture qui n’est pas sans rappeler l’imagerie nigaude d’un flower power mort il y a près de trente ans.