Edité dans la collection « Essais Littéraires » de L’Atelier du roman, la revue dirigée par Lakis Proguidis, Guerres et roman est un livre qui s’intéresse aux principales problématiques de la revue (le roman comme forme, comme intelligence du monde et comme confrontation à ses réalités les plus contemporaines), problématiques ici traitées selon un mode différent, celui d’une conversation épistolaire entre l’essayiste et l’académicien. Cette correspondance commence au moment où sont déclenchées les opérations militaires contre l’Afghanistan, en octobre 2001 : la guerre sera à la fois un fil rouge dans les échanges et une mise en perspective radicale puisque dès le début Proguidis évoque la vanité apparente de telles discussions raffinées quand des conflits sanglants nous entourent. De cette guerre, on passera à celles qu’a connues Déon : le second conflit mondial et l’état d’esprit qui a suivi cette catastrophe, la guerre froide et l’espionnage ; puis on reviendra souvent sur l’actualité : la figure du terroriste, la seconde guerre du Golfe, les attentats de Madrid… Le second fil rouge, c’est l’oeuvre de Déon et ses cinquante ans de création romanesque sur lesquelles Proguidis l’interroge, de Je ne veux jamais l’oublier (son premier roman) à La Chambre de ton père et de Poneys sauvages (son plus célèbre) à des écrits plus obscurs comme Mégalonose. Tout ceci de la manière la plus naturelle, sans glose excessive ni raison artificielle, toujours en résonance avec l’actualité ou avec des réflexions en cours.

Ce que ce livre démontre parfaitement, ce en quoi il sert le credo de la revue de Lakis Proguidis, c’est à quel point l’actualité (et surtout la plus brutale) se trouve située, relativisée et comprise à un niveau supérieur lorsqu’on s’est débarrassé des commentaires radiophoniques, des images-chocs et des propos de circonstances et qu’on décide de la juger à l’aune des grandes créations humaines, c’est-à-dire lorsqu’on substitue à la voix des journalistes celles de Poe, de Stendhal ou de Rabelais. Ici, on oppose judicieusement la vérité du roman à la fiction généralisée qui fait aujourd’hui office de réalité, en égratignant au passage Derrida et les délires terminologiques de l’université moderne, Michel Rocard et l’autofiction, l’hystérie collective des masses ou en opposant Antigone à la vision du monde simpliste et univoque des « droits-de-l’hommiens ». « L’identique est notre destin. La bêtise de la foule, notre idéal », assène Proguidis. On assiste à vrai dire aux regards croisés, amers et complices, de deux hommes de culture, deux gentlemen assistant à l’effondrement de leur civilisation. Une civilisation que le siècle écoulé s’est acharné à faire ennemie de la vie, quand c’était l’inverse qu’il aurait fallu comprendre pour éviter l’affaissement de l’esprit et le nihilisme meurtrier ; d’où cette réflexion finale sur les Jeux Olympiques d’Athènes et sur la trêve rituelle proposée par les organisateurs, trêve qui fut bien sûr, signe des temps, refusée par les belligérants. Ce qui nous ramène à l’idée de culture, donc à l’importance de telles conversations. Celles de Guerres et roman nous laissent malgré tout un peu frustrés, car on doit se contenter de quelques attaques quand, vu l’urgence, on aurait aimé que les deux protagonistes déploient leur arsenal et entrent eux-mêmes frontalement en guerre contre l’époque.