Paris, 1999. Pablo vit l’enfer de la recherche d’une location d’appartement, conséquence du départ de sa femme, amoureuse d’un autre. Alors que la famille qu’il a construite en France explose (procédure de divorce, pensions alimentaires), il apprend la mort de sa mère et s’apprête à partir pour le Chili, son pays d’origine pour assister à son enterrement. Au milieu de ce délitement de sa vie d’adulte lui reviennent les souvenirs de ses vingt ans, en 1979 au Chili, lorsqu’il était militant communiste sous la dictature militariste de Pinochet. C’est à ce moment, alors que la décomposition du présent fait resurgir la lame de fond d’années critiques qui, entre autres, ont décidé de son exil, que Pablo, devant un sex shop parisien, retrouve la trace de Nelson, l’étudiant qui, vingt ans plus tôt, a déposé un faux témoignage contre lui. Le livre se construit selon une succession de monologues : ceux de Pablo, d’abord, narrant sa situation actuelle ou réanimant des souvenirs ; ceux, confrontés, des anciens adversaires Pablo et Nelson, ensuite, avant qu’interviennent les lettres que la mère défunte envoyait à son fils. On suit l’initiation de Pablo, Claudio et Rocio (petite amie du premier) à l’agit-prop : entrés dans le Parti sous l’égide du mystérieux Franz, ils commencent à vivre dangereusement, les tags de slogans communistes et les tracts lâchés discrètement étant des activités réellement interdites par la dictature. Ces manoeuvres nécessitent souvent la Citroneta de Rocio, c’est-à-dire sa 2CV, symbole de l’époque dont l’appellation est un particularisme chilien. Une mission très étrange est par ailleurs confiée à Pablo et Claudio, entrés à l’Union des jeunes écrivains : rédiger de fausses lettres de grandes personnalités de la culture française pour encourager la jeunesse intellectuelle communiste. Ainsi les divers monologues sont-ils encore entrecoupés de délicieux pastiches de Sartre, Sagan ou Robbe-Grillet…

Tandis que la tension dramatique s’intensifie, les points de vue continuent de se multiplier : une rencontre a posteriori avec Claudio à Barcelone, avec Rocio à Paris, l’action se focalisant sur des moments critiques eux-mêmes circonscrits par un nombre croissant de subjectivités. De fait, si le roman démarre lentement dans le trouble et les errements temporels aléatoires du narrateur, avec un style saccadé, vif, et un peu trop abrupt, il décante au fur et à mesure sa force narrative en éclatant le discours selon un rythme qui tient en haleine et aiguise le suspens. C’est toute une époque qui se déploie entre la fougue, les idéaux, la légèreté de la jeunesse (dont l’imagination et la liberté se heurtent à l’appareil du parti clandestin) et la violence de la répression dont les victimes, nous apprendra Nelson, ne sont pas toujours du même côté. Si la polyphonie mise en place ne donne pas lieu à une véritable orchestration de voix caractérisées littérairement (à la Faulkner), elle n’en sert pas moins le rythme et la construction originale et efficace du roman. Enfin, dans ce portrait douloureux d’une jeunesse sous la dictature chilienne, Electorat a également su traiter, non sans humour, les réflexes rhétoriques et les contradictions du Parti, ainsi que les figures mythiques de l’intelligentsia française de l’époque. Pastiché, c’est fou comme Robbe-Grillet devient amusant…