On peut toucher en un mot aussi bien qu’en cent : Mario Bellatin, écrivain mexicain né en 1960 dont c’est le premier roman traduit en France, donne avec ce texte de quelques dizaines de pages l’étrange et puissant récit d’une lente extinction, la métaphore monochrome d’une disparition progressive, assumée et résignée. On n’apprendra du narrateur ni le nom, ni l’âge : ancien prostitué travesti, il est parvenu, grâce à ses économies, à se rendre propriétaire d’un petit salon de beauté. Au fil des mois, l’officine discrète où les clientes viennent confier la préservation de leur jeunesse à sa science cosmétique se transforme imperceptiblement. Accueillant pour la nuit un, deux, puis plusieurs hommes malades, il devient, grâce à l’altruisme de son propriétaire, un mouroir « où vont finir leurs jours ceux qui n’ont pas d’autres endroits pour le faire ». Les aquariums qui le passionnaient et dont il décorait son salon de beauté se ternissent, se salissent et se vident, faute d’entretien.
La décrépitude et l’agonie progresseront inexorablement tout au long de ce petit roman délicat et désabusé sur le narrateur qui voit se multiplier les plaies sur son corps comme à l’intérieur du mouroir où les poissons cessent un à un de tourner : ce récit intime raconte calmement la marche vers la mort, avec une sorte d’humour noir fragile, silencieux et imperturbable. Dans une atmosphère étrange et sereine, Bellatin compose, avec un minimum de moyens et sans jamais recourir aux effets d’écriture qui auraient rendu son texte plus efficace mais irrémédiablement banal, une œuvre pénétrante et originale sur une mort à la fois dédramatisée et omniprésente, démystifiée mais douloureuse. Miniature littéraire morbide et humaine, Salon de beauté exprime la souffrance rentrée d’une maladie sans nom à l’arrivée de « la solitude qui s’approche », et forme une fiction à la fois saisissante et dérangeante.