Eradiquons la famille ! Les lecteurs de La Couverture du soldat en seront convaincus. Seul le pédo-psychiatre-psychanalyste se réjouit de son existence. Notre Mauriac national le savait bien, lui, que la famille est le lieu de toutes les tragédies. Lidia Jorge puise dans ce principe fécond de la littérature.
Le point de départ est simple : les absents ont toujours tort ! Une petite fille apprend que son père n’est autre que celui qu’elle croyait être son oncle. Drame classique. Mais ce père, considéré comme un renégat, a été rejeté par la famille. Tout le problème est là. Alors, pas à pas, Lidia Jorge nous entraîne dans les méandres de cette famille au bord de la dérive. Clichés ? Pas du tout ; l’auteur se donne du mal pour éviter les facilités : progression non linéaire du temps (qui souvent noie le lecteur), narratologie complexe (on passe sans cesse du « je », la fille, à un « elle » mal défini), langue extrêmement travaillée alliant académisme et écriture féminine se voulant plus « moderne » (pour preuve cette comparaison : « Il ne nous restait plus qu’à nous engouffrer dans la voiture noire comme on retourne à l’obscurité de l’utérus » ; audacieux, non ?).

Un mot aussi sur le symbolisme qui, parfois, agace : le « vrai » père, Walter Dias, est une sorte de nomade parcourant le monde de manière quasi frénétique, laissant sur son passage des dessins d’oiseaux et des femmes enceintes qu’il a d’abord allongées sur cette fameuse couverture de soldat ; tandis que le père « adoptif », Custodio Dias, a un pied défaillant. Résumons : les oiseaux, symbole de liberté ? Le pied-bot, symbole d’une forte probabilité à la sédentarité ? Alors le choix d’un modèle pour la fillette est vite vu : entre « dessine-moi un oiseau » et « allons cultiver les champs », son cœur ne balance pas. On n’expliquera pas en détail l’image utilisée au sujet de Maria Ema (la mère, femme de Custodio, et anciennement passée sur la couverture du soldat) qui, dixit : « ressemble à une île écartelée ». Et pour cause : elle a aimé ce Walter Dias et a eu un enfant, avant de finalement se marier avec le gentil Custodio. N’oublions jamais que la femme est une île !

Ce qui pèse, somme toute, ce n’est pas tant ces quelques images ça et là, mais bien plus la lenteur de la narration. Lidia Jorge pose petit à petit les jalons de son histoire et l’on finit par se lasser du énième flash-back de la nuit mythique entre le père et la fille. On n’entre pas dans ce drame qui aurait pu être poignant à bien des égards, mais qui est annihilé par une construction souvent trop savante et des effets littéraires appuyés. Les « je me souviens », « elle se souvient », « pour que Walter sache », inondent le texte, sans vraiment séduire le lecteur. Ils finissent par l’user et rendre la lecture pénible. Enfin, l’absence de dialogues anéantit un attachement quelconque aux personnages. Bref, pour être clair : trop d’application tue l’émotion !