« Je veux écrire quelque chose de très pur et de très cru sur cette grande histoire d’amour ; on devrait pouvoir dire la vérité sur ce qui s’est passé et sur le faits que les sentiments filiaux et érotiques se sont entrelacés en se développant au point de devenir inextricables et d’infecter mes organes les plus impénétrables ». Très pur, on ne sait pas ; très cru, certainement, d’autant que les « sentiments filiaux » dont il est ici question ne se limitent pas à l’amour maternel. Le Théâtre de l’inceste se découpe en trois tableaux : la mère, la fille, la sœur. Le narrateur, à trois époques de sa vie (l’enfance, l’âge adulte, l’âge mûr) et dans trois décors, entretient une relation incestueuse avec chacune d’elles et, dans un exercice qui tient à la fois de la confession méticuleuse et de l’auto-analyse, décrit et compare ces trois amours interdites, jusque dans leurs détails les plus obscènes.

L’obscénité et l’« absoluité » de l’exposition, c’est précisément là que se tient l’enjeu théorique, disons, de ce roman : le narrateur dit tout avec un luxe de détails inouï, d’un ton aimable et détaché qui évacue d’emblée toute répugnance morale et, assez habilement, oblige le lecteur à faire comme lui. Ce ne sont du coup plus la mère, la fille et la sœur qui passent dans ses bras et jouent à ses jeux (innombrables et variés : sadomasochisme, travestissement, ligotage, jeux de rôles, simulations de viol, etc.), mais trois femmes ; la dimension impossible de l’inceste annoncé sur la couverture est du coup mise à distance, d’où la réflexion finale sur la théâtralité de ces trois relations, « un théâtre inhérent à la nature même de ce genre de rapports ».

On pourra choisir de lire ce petit livre sulfureux comme une sorte de performance, en se rappelant qu’Alain Arias-Misson (né à Bruxelles en 1936, installé aux Etats-Unis depuis l’enfance), artiste, écrivain, poète, a frayé avec le mouvement Fluxus dans les années 1960 et donne dans l’installation provocatrice et la bousculade conceptuelle ; on peut aussi, comme le propose Lucien d’Azay (qui traduit le texte) dans sa postface, le raccrocher à une tradition littéraire assez française qui passerait par Genet et l’André Pieyre de Mandiargues de L’Anglais décrit dans le château fermé (sans la somptuosité baroque du style, certes, même si Arias-Misson a la plume élégante). Une petite pièce sadienne en diable, en somme, où l’infamie va si généreusement loin qu’elle en devient drôle.

C’est le premier livre d’Arias-Misson traduit en français, et on espère du coup en découvrir d’autres, les présentations de sa bibliographie étant plus qu’alléchantes : citons, pour ouvrir l’appétit, The Confessions of a madman murderer rapist bomber thief or a Day from the Journal of an Ordinary American (1975) ; The Visio-Verbal Sins of a Literary Saint (1979), qu’une galerie d’art nous présente comme « une composition visio-poétique de silhouettes féminines soft-porn et de photos de ses poèmes publics » ; ou The Mind Crime of August Saint (1995). En attendant, ce Theatre of Incest (2007, chez Dalkey Archive, s’il vous plaît) mérite le ticket d’entrée.