Paris, 1934. L’inspecteur Blèche (lecteurs de Drieu, bonjour) est envoyé au Zoo de Vincennes pour enquêter sur une curieuse affaire : deux tigres ont été abattus, leurs organes génitaux coupés. Blèche, qui travaille à la Mondaine, voit aussitôt de quoi il retourne : les pénis de tigre, séchés et réduits en poudre, sont un aphrodisiaque recherché, spécialement parmi les milieux homosexuels de la capitale, qu’il connaît comme sa poche. Et c’est ainsi que Gonzague Tosseri nous entraîne dans les milieux interlopes du Paris des années 1930, avec ses claques, ses pissotières et ses travestis, sur fond de complots contre la République (les ligues factieuses préparent la journée du 6 février) et de montée du nazisme Outre-Rhin. Plusieurs fils d’enquête s’enchevêtrent, les personnages hauts en couleurs se succèdent (des Ministres aux mœurs spéciales, des pourvoyeurs de plaisirs en tous genres, des marchands d’opium, des flics au casier chargé, etc.), et quelques démons du passé traînent ici ou là pour faire bonne mesure.

Gonzague Tosseri signe avec Le Bal des hommes un polar historique joliment fagoté, reconstituant tout un décor d’années 1930 qui fait son charme, entre souvenirs de 1914 et préparatifs de 1939. Les soudures ne sont pas toujours nettes entre les sous-intrigues, l’éparpillement menace ; mais c’est l’ambiance qui compte, l’exploration d’un Paris nocturne, le fouillis des affaires politico-sexuelles, le délitement des institutions. Sans compter la personnalité de Blèche, et ses qualités d’enquêteur. Ce bon morceau de littérature populaire signe l’entrée en scène d’une voix qu’on pourra suivre. De deux voix, en réalité : sous le pseudo de Gonzague Tosseri se cache un duo, Arnaud Gonzague et Olivier Tosseri, journalistes trentenaires, amoureux d’histoire, de littérature policière et de littérature tout court. On verrait bien leur Blèche bourru et fin limier revenir dans d’autres enquêtes, façon héros de série. Qu’il accepte à la fin du roman de changer de service pour entrer dans les Renseignements donne bon espoir.