Lawrence Block est un productif. Depuis ses débuts d’écrivain, il a publié plus de soixante romans, noirs, érotiques et d’espionnage. En France, on le connaît grâce à son personnage récurrent, Evan Michael Tanner, espion décalé, qui, ayant perdu sa faculté de dormir à la suite d’un accident, en vient à occuper son temps en adhérant, par exemple, à des associations contestataires -ce qui ne lui attire pas que des sympathies, notamment de la part des services secrets américains.
Mais les espions ne sont pas éternels, et Block, après un détour par le polar humoristique, créa en 1976 le personnage de Matt Scudder. Celui-ci deviendra un modèle du genre : ancien flic devenu détective privé amateur, il hante les histoires sur lesquelles il travaille, déambulant sans illusions ni espoirs dans le monde somme toute ordinaire du crime. Block a fait de ce personnage le sujet principal de ses fictions. Au même titre que le Lew Griffin de James Sallis, enquêteur occasionnel et témoin accablé de l’avancée du mal, Scudder est un personnage solitaire : divorcé, il vit à l’hôtel, se contente d’un peu de tendresse, passe son temps à interroger les patrons de bar et à boire des verres pour « faire aller ».

Les Péchés des pères est le deuxième roman dans lequel apparaît Matt Scudder. Wendy Hanniford a été assassinée à coups de rasoir ; son meurtrier présumé et colocataire, un certain Richard Vanderpoel, a été arrêté dans la rue, couvert de sang, errant avec d’inquiétantes allures de psychopathe. A la suite de quoi, il se suicide dans sa cellule. « … même avec le film de l’assassinat, on ne pourrait pas faire plus évident », juge Scudder, alors que le père de Wendy lui demande de reprendre l’affaire qui a été classée. Il ne va pourtant pas lui falloir longtemps pour se rendre compte que les apparences ne résistent qu’à ceux qui ne veulent pas voir au-delà. Il rencontre les témoins, délimite les zones d’ombre des deux disparus, se rend compte qu’elles coïncident peut-être avec celles de ceux qui restent…

Une fois encore, l’intrigue n’est pas tout. Elle est prétexte à des mises en situations extrêmes au cours desquelles les protagonistes tombent le masque. Plus encore, elle souligne à quel point la limite entre le bien et le mal n’est pas nécessairement évidente et indiscutable. A mesure que l’enquête progresse, que les témoins parlent, le mal se déplace, subrepticement : il était l’exclusivité de Richard Vanderpoel, que les apparences sanglantes montraient du doigt, il se morcelle au fil des témoignages, chacun ayant son lot de vice, de carences, et de mal-être.

Scudder est un de ces personnages attachants, écorché vif mais aussi dur à cuir. Au même titre que les personnages de Clint Eastwood, ceux de Richard Stark ou de James Crumley, c’est parce qu’il a l’audace de poser les vraies questions qu’il dérange. Et finalement regarde la vérité en face.