Parmi les « trois suicidés de la société » (en référence à l’ouvrage du même nom chez 10/18) -Vaché, Cravan, et donc Jacques Rigaut-, ce dernier fut celui dont la vie se déclina sous l’aile de la mort. Il se contenta d’incarner au mieux l’idéal de subversion et de distinction qui l’habitait. Le fameux leitmotiv du Bartleby de Melville, « I would prefer not to », sorte de résistance passive à toutes les contraintes, fut son seul mot d’ordre.

« Essayez, si vous le pouvez, d’arrêter un homme qui voyage avec son suicide à la boutonnière », disait cet indifférent. Artiste sans œuvre (hormis quelques textes épars livrés à des revues et des ébauches réunies dans ses Écrits – Gallimard), ami du groupe Dada, modèle des exclus volontaires et dont la seule ambition fut de disparaître, Jacques Rigaut suivit le précepte qu’il s’était fixé dès l’âge de vingt ans : « nous nous tuerons ce soir si c’est notre bon plaisir ». Une balle en plein cœur l’y aida.
C’est ce dandy désinvolte, un rien cynique, que nous propose de redécouvrir Laurent Cirelli dans son portrait tiré, brillant essai où l’auteur tente de « rejoindre » un modèle en fin de compte inaccessible.
A force de constater que le reflet qu’il apercevait dans le miroir chaque matin ne lui correspondait pas, il décida de passer de l’autre côté du miroir. L’écriture (et l’humour) essaya un temps, mais en vain, de combler cette distance qui le séparait du néant. Bientôt nous serons bien vieux. Il conviendrait de régler ce problème d’ici peu, dit-il en substance.