Austère, sobre, épurée, essentielle : les adjectifs ne manquent pas pour caractériser la manière de Kjell Askildsen (né à Mandal, en 1929), l’un des grands noms d’une littérature norvégienne dont il nous arrive trop peu de textes pour que l’on manque ceux réunis dans ce fin recueil à la typographie épaisse et à la puissance étonnante et inattendue. Auteur de six romans, Askildsen est effectivement surtout connu pour les dizaines de nouvelles qu’il a rédigées en presque autant d’années de travail : ces six-là nous font pénétrer, le temps d’une poignée de pages furtives, dans l’univers de couples (maris et femmes, amants, frères et soeurs) qui ne se comprennent pas vraiment, s’en rendent plus ou moins compte, s’y résignent parfois avec fatalisme.

Pas de bris de verres ni de querelles ouvertes dans les scènes imaginées par le délicat Askildsen, mais la découverte progressive et minutieuse des indices d’une tension latente sur laquelle l’auteur ne s’attarde jamais, soucieux de préserver la fugacité des impressions qu’il laisse. Non-dits pesants mais jamais dévoilés, manies anodines auxquelles la promiscuité ou l’habitude font prendre des dimensions insupportables, souvenirs cocasses (ces « chiens de Thessalonique » éponymes dont se rappelle un couple qui les avait surpris, en plein accouplement bestial, lors d’un voyage en Grèce au temps du bonheur perdu) : Askildsen travaille avec peu et cisèle avec soin, attentif à ce que le silence soit aussi plein que les mots, sinon plus. Phrases sèches et précises, pas un paragraphe en trop ni une digression inutile ; le calme et la quiétude reprennent toujours leur droit une fois arrivé le point final, comme pour ramener à leur vraie importance des destins individuels dérisoires à l’échelle de l’univers et de l’éternité. C’est entre les lignes qu’il faut chercher l’art du norvégien, lequel revendique, sans y trouver pour autant son modèle, l’héritage du Nouveau Roman français (Simon, Butor, Robbe-Grillet) ; l’émotion pudique qui sourd de ces textes monochromes et on ne peut plus concis l’éloigne cependant de l’austérité rebutante qu’on pourrait lui prêter.