Fin des années 50 : Selby intronise le travelo new-yorkais comme un mythe à part entière. Quarante ans plus tard, J.T. Leroy, jeune valeur montante de la contre-culture américaine, signe du haut de ses 19 ans un roman profondément romantique qui colle au plus près des réalités troublantes de l’Amérique de la déglingue. Le thème sent pourtant le déjà-vu. Avant Leroy, de plus brillants se sont cassés les dents sur la béatitude underground de la culture métropolitaine américaine : Guinzburg et sa propension à la facilité et au cliché, Ray Shell et sa vision rédemptrice du crack-addict. Sarah se place pourtant d’emblée en haut des productions désirantes de la contre-Amérique et rejoint au panthéon interlope des icônes embrumées de la 42e rue des auteurs majeurs comme Bruce Benderson, Jim Caroll, Gus Van Sant ou Sarah Schulmann.

Un mélange étrange, mi-activiste de la cause gay et mi-poétique, qui transperce de sa luminescence la géomancie occulte du petit monde de la dope et de la prostitution en chaîne. Le héros du livre, un enfant de douze ans au cynisme émoussé par sa prostituée de mère, enchaîne fellations autoroutières et amours tarifé à l’heure pour les michetons du coin, des routiers de passage en West Virginia. Le désespoir, on s’en doute, n’est jamais bien loin : un viol mal abouti, la tristesse incontournable d’une solitude grandissante ou la découverte d’un corps encore mal maîtrisé sont autant de souffrances du quotidien de cette fratrie transsexuelle qui hante l’intermonde. De cette plongée dans la déliquescence baroque, Leroy sort une curiosa toute en nuances qui met fin à certains rumeurs de plus en plus insistantes : non, l’underground américain n’est pas encore totalement mort. Et transcendé par un art précis de la narration populaire, Sarah renoue brillamment avec la tradition trop vite oubliée de ce que certains nomment encore vainement sous-culture.