La vie d’un ouvrier agricole au fin fond du Cantal : difficile de rêver sujet moins glamour. Le Cantal (scruté aussi par certains livres de Pierre Jourde, dans un registre différent), les fermes, le cul des vaches, la vie rugueuse des paysans, leur rapport au temps et au monde, c’est cependant tout l’univers de Marie-Hélène Lafon, qu’elle creuse et raconte d’un roman à l’autre. L’Annonce, en 2009 : un paysan célibataire cherche une femme par annonce, une Chti lui répond. Les Pays, en 2012 : une jeune fille du coin quitte ses parents, monte à Paris, et compare les deux mondes. Et voici donc Joseph, bref roman de 140 pages : Joseph est ouvrier dans une ferme, hébergé par ses employeurs, il a bientôt l’âge de la retraite, il n’a pas eu la vie facile. C’est tout ?

Oui, c’est tout. Marie-Hélène Lafon raconte cet homme en flashback, en commençant par une étude de caractère (Joseph est doux, discret, il sait s’y prendre avec les bêtes, il sait quelle est sa place) puis en élargissant la focale pour parler des autres (ses parents, ses employeurs) et du passé (quelle fut sa vie, s’il a aimé, s’il a été malheureux). Elle mélange à ses phrases sèches et tendues des bouts d’argot du lieu, des façons de parler, des expressions ; le texte, quoique court, est compact, en longs chapitres sans alinéas où tout s’enchaîne.

Il y a du naturalisme dans le regard de la romancière, qui n’oublie pas les détails, s’attache au travail (les fromages, la traite, les horaires), au mobilier, aux odeurs ; on évolue dans un périmètre étroit, les villages alentour, les prés, le fumier. Mais pas seulement ; une forme de poésie, aussi, mais en creux, qui ne naît pas du ton ni du style mais de l’espèce d’admiration sobre qu’a Lafon pour son personnage, et de sa manière de restituer à cette vie sa noblesse, sa grandeur, au milieu de la misère – misère économique, misère affective. A partir de ce héros anonyme et minuscule, elle parle au fond de sujets immenses : la solitude, l’orgueil, l’abnégation, l’oubli, la simplicité. Il y a un monde dans ce petit volume, dont l’apparente modestie n’empêche pas que l’hommage rendu à ce monde soit grand.