Inhumain mais déontologique, le critique doit souffrir la lecture d’un roman dans son intégralité avant d’en rédiger l’article. Pour que l’aventure ne tourne pas à la torture, on peut jeter le livre avant la fin : mais le critique, lui, se doit de poursuivre jusqu’au bout, quand bien même la fin est ce qui écorche le plus l’œil.
C’est une coïncidence. Le quatrième roman de José Angel Mañas met précisément en scène un excellent critique derrière lequel se cache un écrivain sans talent. Je suis un écrivain frustré est le récit d’un manquement à la première personne. La lecture de ce roman est pénible. Les situations, les personnages sont développés superficiellement. Le problème, c’est que Mañas n’a pas eu confiance en son personnage. On le sait, quand par lui-même, un personnage n’a pas de poids, on lui plonge les mains dans le sang et tout devient facile. C’est une erreur : les meilleurs passages du livre concernent le quotidien de « J », critique et prof de fac branleur et alcoolique. Le reste, l’intrigue, c’est de la tarte à la crème. Dépourvu de talent, « J » se trouve fortuitement en possession d’un chef-d’œuvre inconnu. Pour l’amour de l’art (on ne comprend pas !), il s’approprie le livre et séquestre son véritable auteur. Quand celle-ci meurt, il s’aperçoit qu’il l’aime. C’est niais.
Je suis un écrivain frustré : Il fallait un certain toupet pour l’écrire, plus encore pour l’éditer. L’auteur, très finement déguisé en « J » reste prisonnier d’un égotisme borné et sans scrupule. Le manque d’inspiration est ici un problème qui fait tache d’encre. Pour le critique, c’est la traversée de Gobi sans les paysages. Une frustration qui monte, monte, monte et se transmet inévitablement.