Premier de ses romans traduits en français, l’hilarant Testament à l’anglaise, de Jonathan Coe, mémorable succès couronné d’un juste prix, était aussi son quatrième paru en Grande-Bretagne : c’est avec lui qu’il s’y fait véritablement un nom en gravissant d’un coup trois ou quatre barreaux sur l’échelle du succès. Aujourd’hui devenu valeur sûre (l’indispensable Maison du sommeil), transportant son talent sur le terrain du « mariage du verbe et de la musique » (9th & 13th, son album avec Louis Philippe et Danny Manners, fraîchement paru chez Tricatel), il voit désormais ses premiers textes susciter l’intérêt qu’on n’y avait pas forcément porté à l’époque. La découverte à rebours de son œuvre en France, commencée l’année passée avec Les Nains de la mort, se poursuit aujourd’hui avec la traduction de cette Touche d’amour, son deuxième roman, paru à la fin des années quatre-vingts. Rien à voir, on l’imagine, avec l’ambition virtuose des projets à venir : tout juste un roman ramassé, un peu court même, où ne s’en affirme pas moins cette inimitable adresse dans la construction romanesque qui, inexplicablement, interdit presque d’interrompre la lecture avant le point final. Une ronde de personnages, donc, dont l’écrivain imbrique habilement les récits avant de les tisser et d’en faire naître coïncidences et accidents : parmi eux, un vieil étudiant neurasthénique autour duquel vont se croiser et se mêler les destins des autres, et que Coe croque en un portrait irrésistible. Robin est égocentrique, un peu paranoïaque, franchement fainéant et assez peu doué pour les rapports sociaux, qu’ils soient professionnels (avec son directeur de thèse), amicaux (avec ce qui lui reste d’amis) et, cela va sans dire, amoureux (avec une étudiante indienne persuadée d’être persécutée pour motifs raciaux et radicalement critique quant à l’état du monde Occidental en général). Sa thèse en littérature n’avance guère -l’a-t-il d’ailleurs seulement commencée ?-, les seules pages qu’il soit parvenu à écrire en quatre ans étant celles de ces quatre brèves nouvelles sur lesquelles Coe a construit chacun de ses chapitres. On y découvrira tout un petit monde d’universitaires fumistes ou fauchés (un avant-goût sociologique assez comique des intellos précaires), d’anciens copains désormais rangés, avec femmes et enfants, d’amours contrariées qu’on ne parvient pas à oublier (les femmes des anciens copains en question) et d’avocates en crise de couple que leur métier intéresse de moins en moins. Car Robin, dont la bonne étoile fait grève depuis longtemps, se voit traîné en justice par un père de famille sourcilleux qui l’accuse de s’être exhibé devant un garçonnet dans un jardin public.

Et Jonathan Coe, de ce conte social remarquablement bâti quoique pas toujours élégamment écrit, de faire sans trop forcer le trait le tableau d’une Angleterre thatchérienne dont il stigmatisme en douce quelques travers. Sa charge satirique implicite n’est cependant pas, on s’en doute, le meilleur -ni, d’ailleurs, le principal- versant de ce roman de jeunesse où l’on rit beaucoup : ce sont avant tout ses portraits types (l’éternel étudiant, l’actif modèle, la rebelle irascible, le mandarin universitaire et d’autres) et ses impeccables dialogues qui font le charme et la force de cette Touche d’amour réussie mais un peu courte.