Cardiff ? « Les moins de 35 ans l’élisent première ville de Grande-Bretagne pour se bourrer à donf », confie avec dépit le rédacteur en chef du quotidien régional où pige l’un des deux héros. C’est là, dans le quartier populaire de Penarth, que le Gallois John Williams a appris à lire et à écrire ; c’est là, aussi, qu’il a situé l’action de la plupart des romans et nouvelles qu’il a publiés depuis une quinzaine d’années, en particulier celle de la « Trilogie des Docks », un cycle de livres indépendant commencé avec Cinq pubs, deux bars et une boîte de nuit, poursuivi avec Cardiff dead et achevé aujourd’hui avec Le Prince de Galles. C’est en enquêtant sur une affaire sanglante demeurée fameuse dans les annales de la justice britannique (une triple erreur judiciaire dans le procès des assassins présumés d’une jeune femme, Lynette White, affaire dont il a d’ailleurs tiré un livre, Bloody Valentine, a Killing in Cardiff) que Williams s’est immergé dans l’univers dangereusement sympathique de la petite truanderie locale et de la prostitution : il en tirera l’atmosphère, les intrigues et les personnages de ses livres, truffés de mafioso à la petite semaine, de paumés aux avant-bras pleins de petits trous, de putes tristes et de mères maquerelles plus ou moins bienveillantes. Empruntant certains de ses codes au polar, un genre dont il fait une grande consommation (il est éditeur free-lance chez Serpent’s Tail, publiant notamment Pelecanos ou David Peace), ses romans se veulent aussi la chronique en creux d’une ville en pleine mutation économique, sociologique et culturelle ; hier encore peuplée d’ouvriers et construite autour du centre névralgique que constituaient les docks, Cardiff subit de plein fouet les ultimes échos de la crise industrielle et change littéralement de peau en découvrant les centres commerciaux, les immeubles de bureau et la prolifération des cols blancs. « Mes livres s’attachent à la manière dont ces transformations affectent la vie des gens, en particulier ceux qui se trouvent au plus bas de l’échelle sociale », explique Williams.

Plutôt que complètement en bas de l’échelle en question, c’est dans la classe moyenne qu’on situera les deux héros du Prince de Galles : d’un côté Pete, quadragénaire comme il faut, journaliste au quotidien régional, récemment enfui du foyer familial où il avait l’impression de rater sa vie ; de l’autre Bobby, une lesbienne noire volontariste qui exerce la profession de proxénète et compte bien augmenter son chiffre d’affaires en se lançant dans le sexe sur le web. Alternant classiquement ces deux destinées dans de courts chapitres de trois ou quatre pages, Williams tisse les deux histoires jusqu’à multiplier les points où elle se rencontrent : Pete tombe amoureux de Kim, une affriolante journaliste de la BBC aux dents longues ; Kim réalise un documentaire sur les lesbians pimps (les prox lesbiennes) et s’intéresse à Bobby, couchant même avec elle de temps à autre ; Bobby recherche son père, qu’elle n’a jamais connu ; Pete rédige une enquête sur Leslie Saint Clair, une gloire locale au passé pas très clair et qui n’a pas fini de révéler ses secrets, notamment familiaux. Tout s’achève en flash-back dans les années 1960 au « Prince of Wales », un vieux cinéma transformé en pub où quelques bobines super-8 sordides seraient sorties de tournages clandestins. Tout cela est raconté avec un métier certain et pas mal d’humour dans une langue désinvolte et très orale (du coup, constate Williams, les critiques littéraires britanniques trouvent à ses livres un côté « un peu brut de décoffrage » légèrement exagéré, là où les critiques spécialisés en polar ne s’en formalisent pas) ; le scénario n’a rien d’extraordinaire et les ficelles rien de discret, mais les personnages sont suffisamment sophistiqués et charismatiques pour qu’on se laisse prendre au jeu. Entre polar gallois, chronique sociale et love-story à entrée multiple, Williams signe un roman honnête, rythmé et diablement bien fichu : du travail de pro, indéniablement.