Coup de Lune pour Hildy Johnson, reporter au célèbre blocmag sélénite Tétinfos. Crise existentielle ou simple angoisse à l’approche de son centenaire, l’un des meilleurs journalistes de Luna ne cesse d’attenter à ses jours… mais ne s’en souvient pas. Ces sauvetages miraculeux à répétition et l’effacement du traumatisme suicidaire sont dus à l’intervention du Calculateur Central, grand régulateur de la vie lunaire, mélange d’ange gardien schizophrène, de Panopticon électronique et de Big Brother curieusement attentionné. En contact permanent avec chaque habitant, il veille et vous surveille, tout en obéissant strictement à sa programmation : votre bonheur à tout prix.

Utilisant les cerveaux humains en complément du sien, il est fort inquiet des velléités de déconnection de certains citoyens, leur pulsion de mort se propageant dans son système sous la forme d’un virus qui l’empêche de mener pleinement et efficacement sa mission. Ou peut-être est-ce lui, au contraire, qui contamine ses protégés ? Terrible interrogation dont il débattra avec le dépressif et révolté Hildy Johnson, devenu pour lui un sujet d’études et d’expérimentations.
Hildy n’aura de cesse d’échapper à ce meilleur des mondes en cherchant un sens à sa vie et un remède à son malaise. Il changera de sexe, cultivera son jardin et se construira une cabane dans le disneyland « Texas 1830 ». Elle tombera amoureuse, puis enceinte, se liera à une reine d’Angleterre alcoolique et trafiquante d’armes, et décrochera des scoops et la renommée. De nombreuses péripéties suivront jusqu’à sa rencontre avec les rebelles Heinleinistes qui rejettent l’inféodation forcée à l’omnipotence du Calculateur Central qui, livré à sa « fraction pernicieuse », tentera de les écraser.

Attaque en règles des travers et des dérives des sociétés occidentales, Gens de la lune regorge de trouvailles humoristiques souvent féroces et délirantes. De la défense syndicale d’un élevage de brontosaures par des extrémistes écologistes au culte des Agentistes, gourous du showbiz ayant canonisé Elvis, aucun stéréotype du monde moderne n’est épargné. Avec ce roman foisonnant, truffé de multiples références, en particulier au controversé Robert Heinlein et à ses œuvres « En terre étrangère » et « Révolte sur la Lune », John Varley entreprend une critique acerbe, drôle et désenchantée d’une société inerte, survivant sous un globe protecteur de certitudes rassurantes et de vains divertissements. L’humanité sélénite s’est enlisée dans une confortable torpeur, un désengagement irresponsable, abandonnant toute envie de liberté, d’indépendance et de découverte. Il devient alors nécessaire de passer outre les illusions sécurisantes et sécuritaires, de traverser le miroir, comme Hildy Johnson, pour retrouver les forces essentielles, vitales, de l’espèce humaine, et d’aller se mesurer aux étoiles.