Ses romans se vendent par dizaines de milliers d’exemplaires, les libraires n’ont que son nom à la bouche, les magazines grand public titrent sur ses confessions d’alcoolique repenti et le Brésil tout entier voit en lui le digne héritier de Jorge Amado : Joao Ubaldo Ribeiro est ce que l’on appelle un écrivain célèbre. Aussi, lorsqu’un éditeur lui commanda un livre ayant trait au thème du péché de luxure, la moitié des journaux du pays relayèrent l’information en se demandant ce que le professeur d’économie le plus connu du pays allait en dire. Et Ribeiro de s’offrir une astucieuse pirouette en présentant son livre, une fois achevé, comme la transcription fidèle d’une série de bandes magnétiques anonymement déposées à son domicile, accompagnées d’un billet l’informant de l’âge et du sexe de leur auteur (une femme de 78 ans) et l’assurant de l’entière véracité du récit.

Voici donc les confessions autobiographiques d’une femme qui, pour avoir tant de fois goûté à « la Luxure avec ses captieuses ombres ondoyantes et ses étendards immoraux, son appel à la licence, au dévergondage et à l’exultation de toutes les jouissances, jusqu’à trouver la mort lascive », maîtrise le sujet à la perfection. Malicieusement caché derrière son masque ludique, le romancier brésilien donne, au-delà de l’autoportrait coquin et de son intarissable savoir amoureux, le missel insouciant d’une génération auto-éduquée dans la religion du plaisir. Car cette culture là, malgré des tolérances parfois peu conventionnelles (le meilleur amant de notre guide dans ces années libérées n’a-t’il pas été son propre frère ?), possède aussi ses principes, ses commandements et sa morale. Des aventures de la narratrice, on pourra ainsi retenir, outre un délicieux plaidoyer pour une sexualité sincère et sans entraves, quelques aphorismes mémorables (« Baiser son prochain ou sa prochaine doit être un geste amical qui complète, approfondit et parfait l’amitié sans l’abîmer »). Renvoyant avec un ricanement exaspéré les théoriciens de tous bords à leurs chaires universitaires et à leurs tristes divans, elle (c’est-à-dire il) déroule devant nous le fil de ses plaisirs et, avec l’intention proclamée de « nous coller l’oeil au trou de la serrure », démontre qu’il n’y a pas de vie heureuse sans sexualité joyeuse.

Du torrent jubilatoire que forment ces confessions joyeusement excessives (« mieux vaudrait que chacun copule à volonté et cesse de brimer le jugement d’autrui ») naît en filigrane le morose tableau d’une culture sexuelle occidentale moderne étouffée sous les sermons, les traités sexologiques et les belles paroles des harpies castratrices. Sous ce délicieux roman libertin à l’écriture généreuse, d’autant plus drôle et léger que l’érudition de notre sexagénaire nostalgique n’est pas qu’amoureuse, se tient ainsi une véritable petite leçon d’hédonisme par l’exemple. A ne lire que d’une main, selon le souhait de sa narratrice…