Nourrissant une « littérature » abondante, la vie de Napoléon nous semblait définitivement écrite. C’était sans compter sur la curiosité et le talent de Jean-Paul Kauffmann. Car l’empereur est ici présenté sous un jour plus intime (sa part d’ombre en quelque sorte). Animé d’une passion dévastatrice (il mit l’europe à feu et à sang durant de longues années), Napoléon ne s’embarrassa pas, ou si peu, de ses sujets. Porté par une vision froide de la stratégie, il mit tout en oeuvre pour sa propre gloire. Aussi, sommes-nous touché d’apprendre qu’au soir de sa vie il pouvait s’émouvoir des paysages de Sainte-Hélène, lieu de sa retraite anticipée (et bien involontaire). Il est vrai que l’une de ses principales qualités était le discernement. Ne supportant pas les tièdes comme la politique du juste milieu, il vécut dans un état de surchauffe permanent. Mais dans cette île éloignée de tout et lui ayant passé le goût de l’évasion, il subit le poids d’un quotidien accablant, les humiliations des anglais, etc. Et trouva comme palliatif à ce manque (plus aucune conquête en vue) une vie faite d’expériences et d’occupations avec ses compagnons d’infortune (Las Cases, Montholon, Bertrand et Gourgaud).

Parmi les pages les plus émouvantes de ce récit qui par moment est le portrait -en creux- de son auteur, citons Jean-Paul Kauffmann : « le temps, cette lente dévoration nocturne (…) La surface immobile des choses est travaillée par un ruminement sourd qui ronge la roche, la végétation, l’énergie des hommes »…

Redevenu le général Bonaparte, Napoléon atteignit entre 1815 et 1821 le stade ultime d’une mélancolie qu’il porta en lui toute sa vie. Ce qui ne l’empêcha pas de confesser sur cette terre hostile : « Ce n’est pas la faiblesse, c’est la force qui m’étouffe, c’est la vie qui me tue ». Dont acte.