Couronnés du prix Théophraste Renaudot en 1939, Les Javanais, que l’on a eu bien du mal à localiser entre leur première parution chez Denoèl et leur retour il y a peu chez Phébus, éditeur fort bien inspiré pour le coup, sont l’œuvre d’un émigré juif polonais -de son vrai nom Jean Malacki- né en 1908 et arrivé dans l’univers des lettres, sérieusement bousculé à l’occasion d’ailleurs, suite aux encouragements de Gide. Ce dernier, auteur dans la NRF d’un article où il se plaignait de son sort et de sa méconnaissance de l’expérience du labeur ouvrier (!), s’était vu vertement tancé par une missive en provenance du citoyen Malacki ; charmé, c’est avec enthousiasme qu’il accueillera par la suite les pages de ce dernier : « … un lyrisme extraordinaire, de qualité tout à fait rare et spéciale, qui me ravit ; une grandeur épique, à la fois bouffonne et tragique. » De fait, c’est un drôle de roman qu’a écrit Malaquais, chronique étrange d’une communauté provençale peu avant la guerre -que ses habitants ont surnommé l’Ile de Java.
Communauté, car tous ses membres vivent de près ou de loin des travaux d’une mine à la tête de laquelle a été parachuté un angliche nonchalant et iconoclaste, et dans laquelle piochent nombre de travailleurs au noir de toutes origines… Un bateau, ivre les jours de paye, à la population bigarrée, une tour de Babel vivante et rude, aux personnages joyeusement uniques, dont l’auteur, fin connaisseur de ces travaux en profondeur, peint un tableau poétique, drôle et diablement coloré. Si Gide, Trotski et le jury Renaudot, puis par la suite Jorge Semprun (notamment), s’enthousiasmèrent en termes grandiloquents pour ces Javanais (et il y a de quoi), c’est entre autres pour sa langue inventive, triturée, argotique, hilarante, au diapason de l’accent à couper au couteau que l’on se plaît à imaginer à Malaquais. Nombreux ont invoqué à ce propos les noms de Rabelais et Céline -rien que ça ; on ajoutera que Buffon, quand il disait que « ceux qui écrivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent très bien, écrivent mal », disait une grosse connerie. Et si, à la fin du livre, la mine ferme, laissant les javanais se disperser aux quatre vents (d’où la « dimension sociale » qu’a voulu y voir Trotski), l’Ile de Java reste éternelle pour les lecteurs de sa formidable histoire.