Méditations carnavalesques, premier livre de Jean-Luc Giribone, est un recueil d’une quarantaine de textes courts tenant pour une bonne partie leur concept et leur univers du Plume de Michaux mais inspirés, aussi, par le formalisme ludique de Francis Ponge. « Je m’appelle Je » : tel est l’incipit de « Autobiographie d’un pronom personnel ». Jeu sur la langue et les locutions communes, dérèglement du réel, le ton est donné et servira à élaborer cette suite de poèmes en prose aux titres évocateurs : « Visage de femme sur fond urbain », « Anthropologie bariolée d’une situation grave » ou « Réanimation d’une métaphore moribonde ». Apparaît régulièrement le pronom personnel « Je », invité par la duchesse Nobody, mis en rapport avec les nombreux mondes des « Autrui ». Ce narrateur-pronom-personnel permet aussi toutes sortes de considérations sur l’ego. On prend les mots au mot en déclinant les conséquences d’un tel délire. Le monde extérieur, les relations entre les êtres, les concepts, la « ville », l’ »autoroute », la « campagne », tout devient étrange, absurdement exotique, prétexte à invention littéraire et à analyse décalée. Lorsqu’il ne s’intéresse pas aux objets ou aux concepts, Giribone situe ses textes dans des bureaux kafkaïens, des soirées mondaines ou chez des psychiatres. L’écriture se base aussi sur le descriptif scientifique, sa froideur, ses possibilités de laboratoire et ses néologismes étant systématiquement détournés.

Autre procédé typique, la matérialisation de notions abstraites : le langage est couleur ou liquide, les interactions humaines deviennent visibles (« une multitude d’arcs électriques, stabilisés sur une foule brillante, qui reliaient par volatilité une kyrielle de têtes singulières »), les époques sont rangées dans des pièces distinctes avec tous leurs attributs, la vie sociale est un énorme escargot visqueux, la métaphysique est une géométrie, etc. Cela étant, le titre du livre est très approprié car, en effet, chacune de ces courtes pièces est une méditation sur notre rapport aux autres, au monde et à nous-mêmes, une méditation utilisant la distorsion du réel et du langage pour s’accomplir et opérant par une mise-à-plat chaotique et burlesque des choses. Si le style de Giribone, recherché, dense, est presque impeccable, la qualité de ses textes n’en est pas moins très inégale. Pour quelques réussites convaincantes, combien d’essais poussifs, artificiels ou vains ! Ses procédés tournent un peu en boucle, on tombe souvent dans un fantastique d’universitaire (les ressources folles du néologisme et de la stylistique…) ; en outre, l’influence de Michaux est tellement marquée qu’on ne peut s’abstenir de lui comparer son émule et de se dire parfois que l' »avant-gardisme » de ce livre a déjà été parfaitement réalisé (et de manière plus amusante et plus libre) il y a quarante ans… Ainsi, malgré une écriture élaborée et très fine, une absence totale de pages médiocres et quelques prouesses évidentes, l’oeuvre dans son ensemble, il faut bien l’avouer, est assez ennuyeuse.