Le Monde m’était promis, c’est d’abord le tourbillon de trois voix qui s’opposent, rarement se répondent, dans une polyphonie hallucinée au cœur d’un monde détruit. Ex-Yougoslavie : la guerre a fait son œuvre. Si Jean-Louis Serrano utilise ce moyen d’un roman à trois voix, c’est pour incarner au mieux l’impossibilité de parler, de communiquer, quand il s’agit de rétablir la paix. Bien sûr, on peut tenter de tirer un mince fil d’espoir entre les êtres détruits qui peuplent ces lieux, mais la tâche est par trop immense. Une culture de la haine et du désespoir s’est enracinée au milieu des collines, toujours aussi vertes, toujours aussi belles, et les choses semblent dès lors irrévocables. Pourtant, certains essaient ; ici, les casques bleus. Mais le télescopage se révèle trop brutal entre des mondes qui ne se connaissent pas et n’auraient en tout cas jamais dû avoir à se rencontrer ainsi.

Trois personnages. D’abord, la femme : elle est jeune, elle ne sourit jamais. Pour ne pas parler de rire. Elle vit dans une ferme, avec son fils et ses parents, un père qui ne lui parle plus et une mère qui pleure. En face, l’autre ferme : deux hommes, deux femmes. La vieille, ses deux fils et la femme du plus jeune. Entre ces deux familles, rien d’autre que la haine, la différence, ethnique, qui a fait éclater des siècles de bon voisinage. Pour ne plus rien laisser que celui qui est le premier homme, le fils aîné, qui passe son temps à observer « les autres », et à les maudire. Sur la colline, le camp des casques bleus. Un jeune médecin gallois, qui voudrait faire renaître la paix, en bas, dans la vallée. Une ambition somme toute modeste, il ne s’agit que de quelques hommes. Mais une ambition impossible pour des raisons très simples : il n’est pas de ce monde. « Que sait-il de cette terre ? Il est intact, il est fragile. Il est vulnérable. Il garde en lui de belles choses que ce pays détruira. Il est exposé aux désillusions, à la souffrance ». Pourtant il va essayer, avec la force de sa naïveté, justement. Et chuter devant son impuissance, l’impuissance de celui qui ne sait pas viscéralement et malgré toute sa volonté ne peut que rester aux portes de ces gens. Jusqu’à comprendre qu’il « ne peut plus supporter la terrible réalité de ce pays ».

Le texte est dur, cruel, désespérant. A croire finalement que rien ne peut plus se faire ici, que tout est passé par le vide, que rien ne peut plus exister, puisque même les « habitants de ce purgatoire sont déjà vides. Ne possèdent plus aucune trace d’humanité. Ne sont plus que haine et peur ». Jean-Louis Serrano raconte la fragilité de l’âme et du cœur humain, ses faiblesses, ses drames. Tout paraît sans espoir quand on a trop détruit. Les mots de la fin ? On peut les laisser à cette femme qui ne sourit jamais mais qui dit simplement, dans un moment de terrifiante lucidité : « Je sais que nous sommes maudits et que la paix nous est interdite. Je sais que nous ne connaîtrons jamais la paix. L’enfer est peuplé de femme aux dents cassées ».