Le cynisme, c’est la valeur qui monte. Dans la veine macabre d’un Régis Clinquart (on se souvient de sa saignante Apologie de la viande, paru à la rentrée dernière), le comédien, publicitaire, romancier et cinéaste Jean-Hugues Lime raconte au jour le jour et à la première personne les pensées d’un homme qui décide de devenir un assassin. Du mardi 9 janvier au dimanche 15 juillet, en France, l’inquiétant diariste transcrit son parcours, ses pulsions, ses fantasmes, ses scrupules et ses dégoûts, dans une lente maturation criminelle qui le rapproche chaque jour davantage de l’assassinat rigoureusement gratuit et absolument parfait dont il a fait son but.

Accablé par une mère pénible qui s’inquiète de son célibat et lui offre des compagnons à poils pour rompre sa solitude (un lapin qu’il appelle Jean-Claude et qu’il laisse mourir dans son appartement), le narrateur se décide à rencontrer une partenaire : « Trouver une femme dans une boîte de nuit, c’est comme chercher un œuf dans une boîte d’œufs. » Il séduit ainsi une fille de 26 ans, lisse, laide et banale, dont la fréquentation lui inspire des sentiments racontés avec une sincérité cruelle (« Nous n’avions rien à nous dire, juste à nous tripatouiller les génitoires »), rapidement réduits à des satisfactions d’ordre physiologique (« mécanique des râles, musique des cris de ouistitis, griffures de griffonnes, jouissances nases, acrobaties pénibles des viandes mal arrimées »). Déconcertante dans les premières pages, cette confession morbide et lubrique s’accélère peu à peu dans une spirale noire au style étrange, mêlant les effets de style (rimes, paronomases et enchaînements de mots à rallonge) à l’humour noir d’aphorismes parfois explosifs : à chaque date sa « Pensée du jour ». Certaines laissent froid, d’autres touchent juste (« Prendre une assurance-vie, c’est mettre un paratonnerre à une potence ») ; entre Cioran et Kafka, l’auteur joue du troisième degré et de la provocation avec une verve inégale. L’autoportrait de ce détestable désespéré (« Ma biographie tiendrait sur un ticket de métro »), à force d’excès, fait rire plus qu’il ne choque : on joue avec les mots, on touche aux interdits (« J’ai un camp de la mort dans la tête »), on invoque les grands ancêtres : Gerald J. Schaefer (auteur du Journal d’un tueur qui fit scandale en son temps) et bien sûr le moustachu (« Hitler est aussi célèbre que Jésus, et en plus on a des photos »). Paranoïaque au dernier degré, le narrateur, persuadé d’être traqué et contrôlé par une énigmatique organisation dont on ne saura rien, se dirige toutefois, au fur et à mesure de la grossesse redoutée de sa compagne (« Pas question de vivre sous la coupe d’un petit fasciste de trente centimètres à la maison. A toutes fins utiles, décide de ne plus jouir dans son ventre »), vers une rédemption vague et caustique lorsque l’immaculée conception s’achève en fausse couche sanguinolente généreusement décrite sur sept ou huit pages.

Affreusement cynique et curieusement comique, ce conte satirique, malgré une écriture très inégale, s’avère finalement irrésistible ; « Ecrire, c’est bondir hors du rang des assassins », observe Lime en citant Kafka. Accusé, vous pouvez vous rasseoir.