L’intrigue se situe en Allemagne, en l’an 1523, alors que la lutte politico-religieuse à laquelle se livrent les réformateurs, emmenés par Luther, connaît de réels succès et inquiète l’Empire et les représentants du pouvoir catholique. Hans (fils de paysan à l’instar de Martin Luther) postule cette année-là au titre de Bacchus, roi durant sept jours, détenteur d’un pouvoir absolu sur tous les administrés et les puissants d’une ville située près de la frontière suisse. Sa candidature est appuyée par la fille du Duc, Christine, qui un jour de chasse à l’homme, s’est prise de pitié (on devine très vite une autre nature à ses sentiments) pour ce paysan, traqué et rudoyé comme une bête sans défense par ses compagnons de réjouissances, des fils de nobles désireux d’exercer leur propre tyrannie sur les paysans.
Depuis ce jour, Hans feint d’être l’idiot du village, et trouve dans cette mascarade le seul moyen d’être un homme libre. La veille de la fête des vendanges, le grand jury se réunit afin de se mettre d’accord sur le candidat au titre de Bacchus. Ainsi, le duc, l’évêque, le prévôt, le syndic et le Cardinal consentent à écouter la requête de Christine, qui est de voir son « candidat » Hans revêtir l’habit de souverain des sept jours. Le paysan, après avoir réussi l’examen de passage, se voit attribuer le rôle de sa vie. Hans prône une société de bonté, il vide les prisons, punit les marchands de breloques qui s’enrichissent sur le dos des crédules et supprime la dîme qu’il juge injuste. La mascarade de Bacchus va pourtant mal tourner…
Bacchus n’a pas connu le succès que la pièce méritait. Cocteau la considérait, après La Machine infernale, comme une de ses œuvres dramatiques maîtresses. La pièce semble avoir souffert de plusieurs choses, et notamment de l’accueil que la presse lui réserva dès sa première au théâtre Marigny le 20 décembre 1951, doublée de la réaction de Mauriac, spectateur « décontenancé » et semble-t-il, à la fois triste et scandalisé. Mauriac s’attaqua à Cocteau dans une lettre célèbre publiée dans Le Figaro littéraire du 29 décembre 1951, puis s’enferma dans un silence que les multiples tentatives de défense de Cocteau ne briseront pas.
L’édition établie et annotée par Jean Touzot est une grande réussite. En effet, hormis la possibilité de découvrir ce texte brillant, la finesse psychologique dont l’auteur fait preuve, l’intelligence de l’intrigue, la force des dialogues et le foisonnement de références historiques et littéraires que Cocteau a su rassembler, Jean Touzot nous éclaire sur la genèse de la pièce, sur la querelle quasi « hernanienne » qu’elle a suscitée, ainsi que sur les grands thèmes de l’œuvre de Cocteau et sur le monde des théâtres et les intrigues littéraires des années 1950.
Jean Touzot reprend « l’affaire » à ses débuts, dote le texte d’un appareil critique de grande qualité qui nous permet d’apprécier Bacchus à sa juste valeur et de révéler au grand public une pièce que l’on aimerait voir à l’affiche très prochainement.