Si ce n’était que le titre… Mais tout le roman de James Lee Burke est ainsi, inexplicable et beau. La violence ordinaire d’une enquête policière. Les chutes barométriques sur le bayou. Et surgies de cet amalgame, parce que la Louisiane toute entière, pourriture et cyclones, en est le terreau magnifique, les visions oniriques d’un inspecteur vieillissant, en soliloque avec sa conscience. Dans la brume électrique avec les morts confédérés : comme son titre l’indique.

Est-il nécessaire de rappeler la règle ? Le polar est un genre. Et les sommets du genre sont atteints lorsque, le livre refermé, l’enquête est oubliée. Reste, irréelle et immanente, une impression singulière qui distingue ce livre des autres. La narration, les lieux et les personnages sont transcendés. Et apparaît alors une autre vérité, en forme de confession secrète, intime, qui est celle de l’écriture.
L’écriture de James Lee Burke reste son plus sûr moyen de parler de la dérive des siens (les Américains), et de la dénoncer. Fut-il un temps où ces gens-là connaissaient l’innocence ? C’était bien avant la guerre de Sécession. Peut-être même avant la naissance du Général John Bell Hood, qui combattit les troupes fédérales à Gettysburg et à Atlanta. Cela n’a, en tous cas, plus rien de réel. « J’ai vu votre tombe à la Nouvelle Orléans », assure l’inspecteur Robicheaux lorsqu’il rencontre pour la première fois l’illustre mort confédéré. « Ce n’est pas exact », répond le Général, « je suis mort quand ils ont baissé pavillon, monsieur ».

L’innocence ? Le code de l’honneur ? Il n’y a jamais eu moins de place en Amérique pour de telles idées, semble nous hurler au visage toute la substance de ce livre. Plus aucune place pour un flic qui ne se servirait pas de son arme, ni ne violerait la loi pour passer outre le 1er Amendement de la Constitution américaine. Le flic a perdu le sommeil. Il se bat contre les chimères d’un pays tout entier, personnifiées dans les affairistes du stupre en Nouvelle Orléans, ou dans un psychopathe aux agissements sans nom.
L’Amérique, nous dit James Lee Burke, a changé. Mais le bayou, lui, ne change pas. Tout chargé de relents d’histoire glorieuse et meurtrière, le Grand Sud résonne encore des faits d’armes de ces héros confédérés qui servirent, avec honneur, « des hommes vénaux et une entreprise méprisable ». A quoi sert l’Histoire ? Mais à rien d’autre qu’à trouver la paix, en compagnie des morts.