La sculpture de Jeanclos (1933-1997) est d’abord tension entre les visages de ces dormeurs qui parcourent toute son œuvre, visages lisses, aux yeux fermés, asexués, d’une immatérielle pureté, et leurs corps irrémédiablement prisonniers d’une terre écorce, lancée comme autant d’épais manteaux sur un germe d’humanité, puis empoussiérée, enfin craquelée lors de la cuisson. Chaque œuvre semble dire à la fois l’impossible émergence de l’homme hors d’une glèbe si dense et le miracle d’une création qui n’est parfois que l’éclosion d’une main crispée au sortir d’une faille de l’argile. Cette difficulté à naître de la terre, cette déchirure, est pour Jeanclos l’histoire de l’humanité et la sienne propre.

Jacques Sojcher retrace le cheminement spirituel d’un artiste qui a constamment cherché sa judaïté, non pas dans une religion, mais dans une vision du monde, modelée par la tradition juive comme par certaines figures bouddhiques ou gothiques. De nombreuses citations de Jeanclos soulignent les principales étapes de ce parcours. Les informations sur la technique de l’artiste sont essentielles : le geste par lequel il lance la terre sur les corps est un mouvement unique qui conditionne sans repentir possible la réussite de l’œuvre, rendant ainsi au hasard sa part dans toute création, dont Jeanclos semble inlassablement sonder le mystère.

On aurait cependant aimé que l’auteur ne s’en tienne pas à cette bonne présentation de l’œuvre, dans un style parfois trop explicatif, mais ose un texte plus inspiré, plus suggestif, plus à même de perpétuer dans la lecture le mystère des sculptures. Car celles-ci, et c’est le principal attrait de ce livre, première monographie de Jeanclos, sont reproduites à travers de très belles photographies, qui rendent presque palpable le travail de la terre et font admirablement sentir le contraste entre l’épaisseur de la matière et la légèreté des visages. La parfaite reproduction tant de l’ensemble que des moindres détails de ces œuvres souvent de petit format, la force qu’elle rend à chacune d’entre elles et la vision qu’elle inspire au lecteur sont certainement le plus bel hommage qu’un livre d’art puisse rendre à un sculpteur.