Ikebukuro west gate park, « IWGP » pour les initiés : depuis sa parution, le roman se décline en série TV ou en édition manga illustrée par Sena Arito… C’est dire l’immense succès remporté par Ishida Ira, prophète en son royaume. Son texte se présente comme une série de nouvelles mettant en scène, le temps de quelques mois, une inhabituelle jeunesse des banlieues tokyoïtes. Tokyo a chez lui une image particulière ; si on d’habitude de la ville les clichés faciles des jouets techno, des cadres éreintés, des vestiges des clans de yakuzas recyclés en multinationales et des façades de verre à la Lost in translation, Ira nous fait pénétrer dans le cadre assez rarement évoqué de la banlieue. En bordure de Ikebukuro west gate park, un univers inconnu se met en place : à travers ce texte surprenant, dont le dynamisme n’est pas sans rappeler, tant dans l’écriture que par l’habile mélange d’enquêtes, de quotidien et de références culturelles et musicales, certains romans de Pelecanos, bien qu’on reste ici loin de l’aboutissement glacé de ses romans. Makoto a 20 ans, 21 peut-être, et vit dans ce quartier (sortie ouest de la gare d’Ikebukuro) où, depuis qu’il a arrêté ses études, il aide sa mère à tenir son magasin de fruits et légumes. A ses heures perdues, il sillonne les rues pour tuer le temps ; le hasard le conduit à découvrir celui que les journaux et les gens du coin désignent sous le nom de « tueur des salons de massage » et devient, sans le vouloir, une figure centrale de la vie des rues. Sans appartenir à aucun gang de jeunes (G-Boys et autres Red Angels), sans aucun lien avec les clans de yakuzas, il devient tout à coup celui vers qui on se tourne quand on veut prendre le pouls du quartier, retrouver quelqu’un ou résoudre un problème. Nouveau médiateur de ces rues qui explosent parfois d’un trop-plein de violence et se retrouvent sur le devant de la scène quand les gangs s’y entretuent, il sera désormais trouble shooter, reconnu par tous.

Yakuzas, prostitution, salons privés, drogue, racket : Tokyo, comme toutes les mégalopoles, révèle la souffrance de ses banlieues. Si la mode tient sa place dans les allées et venues des ados et les parterres de la drague, on est loin des clichés ordinaires qui courent sur la mégalopole japonaise : on sent la ville qui s’échauffe, même si on passe presque toujours juste à côté, d’où la sensation de frustration laissée par IWGP. Ce qui chez Pelecanos devient sans coup férir une vie frémissante ne parvient pas, ici, à décoller. Si on se prend au jeu malgré tout dans certains passages, on finit toujours par ressentir un manque de maturité, une légèreté qui détonne et nuit à la force du texte. Pourtant, Ira nous affirme : « Le jour où rien ne va plus, venez faire un tour à Ikebukuro. Au début, ça vous demandera peut-être un peu de courage, mais desserrez donc votre cravate et asseyez-vous au bord des rues. Alors vous verrez apparaître un monde que vous ne soupçonniez pas. La rue, c’est une scène fabuleuse et une école exigeante. C’est là que nous nous sommes bagarrés, que nous avons eu nos blessures, que nous avons appris et (sans doute) un tout petit peu grandi. L’histoire de la rue ne s’arrête jamais ». Si le texte laisse le lecteur sur sa faim, on sent que quelque chose, pas loin, ne demanderait qu’à exploser. A suivre.